Centre de recherche sur la mondialisation

Al-Jazira dépend de CNN pour ses images en Afghanistan 

Florence Amalou et Tewfik Hakem 
Le Monde, le 15 novembre 2001
Centre de recherche sur la mondialisation (CRM), globalresearch.ca le 16 novembre 2001


Depuis la prise de Kaboul, la télévision arabe a perdu ses deux correspondants exclusifs auprès des talibans et fait appel momentanément à la chaîne d'information américaine. Les dernières images "exclusives" de la chaîne qatarie pourraient avoir été tournées par les talibans eux-mêmes. Lors du bombardement de la capitale afghane, lundi 12 novembre au soir, le bureau permanent de la chaîne de télévision d'information continue en langue arabe Al-Jazira a été touché. Dans la nuit de lundi à mardi, lecontact entre le siège de la rédaction à Doha (Qatar) et le correspondant permanent à Kaboul, Teyssir Allouni, a été interrompu. "Les Américains ont bombardé notre bureau", a-t-on expliqué à Doha. D'après Reporters sans frontières, "des avions de chasse américains auraient pris pour cible les locaux de la télévision". Les dégâts seraient uniquement matériels. Avec l'avancée des troupes de l'Alliance du Nord, les deux correspondants d'Al-Jazira en zone talibane ont précipitament abandonné leur poste à Kaboul, lundi, puis à Kandahar, mardi. Situation inédite, la chaîne dépend, momentanément, des correspondants de l'américaine CNN pour ses images de Kaboul. Depuis mardi, Al-Jazira n'a plus, en Afghanistan, d'envoyés spéciaux en mesure de travailler. Le journaliste syrien Teyssir Allouni, basé depuis deux ans à Kaboul, a finalement pu être joint par téléphone par Al-Jazira.Il se trouverait toujours, mercredi, en Afghanistan près de la frontière pakistanaise et serait sain et sauf après avoir été intercepté sur la route par "des jeunes qui, profitant de la panique et du fait qu'il soit arabe", lui ont volé argent et voiture. Des chefs de tribu pachtounes seraient venus à sa rescousse dans un village à l'est de Kaboul. De son côté, Youssef Echoulli, le reporter d'origine palestinienne envoyé spécial à Kandahar depuis le début des frappes américaines, serait à Quetta, dans le nord du Pakistan.

LA RELÈVE EST EN ROUTE 

L'ancienne équipe se replie, incapable de poursuivre, sans risque, son travail dans le nouveau contexte politico-militaire. La relève d'Al-Jazira est en route. Mercredi matin, trois équipes de télévision ont quitté la capitale du Qatar a destination de l'Afghanistan, via Islamabad, au Pakistan. Membres permanents de la rédaction, deux journalistes maghrébins et un palestinien devraient atteindre dans la journée de jeudi le Pakistan d'où ils espèrent obtenir l'autorisation de travailler en Afghanistan. Mais sur place les conditions de travail pour les journalistes arabes sont désormais très "pénibles". Certains estiment que "dans l'état où se trouvent les Afghans, chauffés par la propagande américaine, aucun Arabe ne peut sortir dans les rues contrôlées par l'Alliance du Nord sans prendre de risques sérieux". Soupçonnés du pire depuis l'assassinat du commandant Massoud, les journalistes arabes, dont ceux d'Al-Jazira, n'ont jamais pu avoir de reporter dans les territoires contrôlés par l'Alliance du Nord. Il y a environ deux semaines, le correspondant d'Al-Jazira à Moscou a tenté une nouvelle fois de se faire accréditer par les chefs du Nord, mais s'est fait refouler. Pour l'instant, Al-Jazira est cantonnée aux entretiens téléphoniques avec les opposants aux talibans.

Ce faisant, le rapport des forces entre Al-Jazira et CNN s'est brutalement inversé. Depuis le 11 septembre, la chaîne américaine d'information en continu avait perdu le contrôle exclusif des images et dépendait de celles envoyées par les correspondants d'Al-Jazira pour informer les télespectateurs anglophones des événements dans les zones contrôlées par les talibans (Le Monde du 6 novembre). A la faveur de la nouvelle donne militaire, elle vient de reprendre la main mardi. Dans un contexte de coopération, plus que de concurrence acharnée. CNN utilise le faisceau satellitaire abandonné par Al-Jazira à Kaboul, mais la chaîne fondée par Ted Turner, devenue principale ressource, avec les images d'agence, d'Al-Jazira en Afghanistan, fournit images et analyses à la chaîne du Qatar grâce à ses trente-deux envoyés spéciaux déployés sur place. Le jour de l'entrée de l'Alliance à Kaboul, le Britannique de CNN Matthew Chance répondait à Al-Jazira et commentait les images pour la chaîne!. Mercredi, c'était au tour de Christiane Amanpour, une star de CNN, de fournir information et analyses sur la situation dans la capitale "libérée". Un accord de collaboration réciproque a été "renforcé" au lendemain du 11 septempbre, confirme-t-on chez CNN. Au bureau de Londres, on rappelle que la chaîne américaine avait jusqu'ici "largement" profité des images d'Al-Jazira qui furent "énormément utiles". Comment, alors, des images "exclusives"d'Al-Jazira continuent-elles à parvenir, depuis les territoires contrôlés par les talibans, aux chaînes occidentales ? Ces images siglées "Al-Jazira exclusive" encore diffusées mercredi par CNN, mais aussi TF1 et LCI - quelques plans de la ville paisible et une mini-manifestation de talibans contre l'Amérique et ses alliés -, auraient été tournées au moyen d'un visiophone satellite le matin à Kandahar. Un caméraman soudanais, "sous la protection des talibans", les aurait envoyées, selon certains. Les talibans se filmeraient eux-mêmes en utilisant le matériel laissé par un envoyé spécial, confient d'autres. Jusqu'à l'arrivée de sa "relève", Al-Jazira est fragilisée. La concurrence est pour elle sans précédent depuis le début du conflit. La BBC World et Abu Dabi TV venaient d'installer un bureau à Kaboul. Sans compter les déboires de la chaîne qatarie en Occident. Mercredi soir, à 20 heures (heure de Paris), l'un de ses correspondants à Washington a été arrêté par le FBI alors qu'il allait couvrir la conférence Poutine-Bush. Son loueur de voiture a alerté les autorités en constatant que la carte bancaire était au nom d'Al-Jazira "Pour eux, Al-Jazira c'est l'Afghanistan, taliban, Oussama Ben Laden, que sais-je encore", a expliqué le journaliste Mohamed Al-Ali, relâché deux heures après avoir obtenu des excuses du FBI

Depuis lundi, une page est tournée dans la bataille de l'information. Mais la direction de la chaîne qatarie indique déjà qu'elle a l'intention de "revenir en force dans l'Afghanistan des anti-talibans". 

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