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Centre de recherche sur la mondialisation

G�opolitique de l'Imp�rialisme contemporain

par Samir Amin

 
www.globalresearch.ca    12 novembre 2003

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L�analyse que je propose ici s�inscrit dans une vision historique g�n�rale de l�expansion capitaliste d�velopp�e ailleurs, sur laquelle je ne reviendrai pas ici ( 1). Dans cette vision le capitalisme a toujours �t�, depuis l�origine, un syst�me polarisant par nature, c�est � dire imp�rialiste. Cette polarisation � c�est � dire la construction concomitante de centres dominants et de p�riph�ries domin�es, et leur reproduction s�approfondissant d��tape en �tape � est immanente au proc�s d�accumulation du capital op�rant � l��chelle mondiale, fond� sur ce que j�ai appel� � la loi de la valeur mondialis�e �.

Dans cette th�orie de l�expansion mondiale du capitalisme les transformations qualitatives des syst�mes d�accumulation d�une phase � l�autre de son histoire fa�onnent � leur tour les formes successives de la polarisation asym�trique centres/p�riph�ries c�est � dire de l�imp�rialisme concret. Le syst�me mondial contemporain demeurera donc imp�rialiste (polarisant) pour tout l�avenir visible, pour autant que la logique fondamentale de son d�ploiement reste command�e par la dominance des rapports de production capitalistes. Cette th�orie associe donc imp�rialiste et proc�s d�accumulation du capital � l��chelle mondiale que je consid�re comme ne constituant alors qu�une seule r�alit� dont les diff�rentes dimensions sont de ce fait indissociables. Elle se diff�rencie donc tant de la version vulgaris�e de la th�orie l�niniste de � l�imp�rialisme phase supr�me du capitalisme � (comme si les phases ant�rieures de l�expansion mondialis�e du capitalisme n�avaient pas �t� polarisantes) que des th�ories post modernistes contemporaines qui qualifient la mondialisation nouvelle de � post imp�rialiste � ( 2).

1. Du conflit permanent des imp�rialismes � l�imp�rialisme collectif

Dans son d�ploiement mondialis� l�imp�rialisme s��tait toujours conjugu� au pluriel, depuis ses origines (le XVIe si�cle) jusqu�en 1945. Le conflit des imp�rialismes, permanent et souvent violent, a occup� de ce fait une place aussi d�cisive dans la transformation du monde que la lutte de classes � travers laquelle s�expriment les contradictions fondamentales du capitalisme. Au demeurant luttes sociales et conflits des imp�rialismes s�articulent �troitement et c�est cette articulation qui commande le parcours du capitalisme r�ellement existant. Je signale �galement que l�analyse que j�ai propos�e � cet �gard se s�pare largement de celle de la � succession des h�g�monies �.

La seconde guerre mondiale s�est sold�e par une transformation majeure concernant les formes de l�imp�rialisme : la substitution d�un imp�rialisme collectif associant l�ensemble des centres du syst�me mondial capitaliste (pour simplifier la � triade � : les Etats Unis et leur province ext�rieure canadienne, l�Europe occidentale et centrale, le Japon) � la multiplicit� des imp�rialismes en conflit permanent. Cette forme nouvelle de l�expansion imp�rialiste est pass�e par diff�rentes phases de son d�veloppement, mais elle est bien toujours pr�sente. Le r�le h�g�monique �ventuel des Etats Unis, dont il faudra alors pr�ciser les bases comme les formes de son articulation au nouvel imp�rialisme collectif, doit �tre situ� dans cette perspective. Ces questions posent probl�mes, qui sont pr�cis�ment ceux que je souhaiterais traiter dans cet article.

Les Etats Unis ont tir� un b�n�fice gigantesque de la seconde guerre mondiale, qui avait ruin� ses principaux combattants � l�Europe, l�Union sovi�tique, la Chine et le Japon. Ils �taient donc en position d�exercer leur h�g�monie �conomique : ils concentraient plus de la moiti� de la production industrielle du monde d�alors et avaient l�exclusivit� des technologies nouvelles qui allaient fa�onner le d�veloppement de la seconde moiti� du si�cle. De surcro�t ils avaient l�exclusivit� de l�arme nucl�aire � la nouvelle arme � absolue �. C�est pourquoi je situe la coupure qui annonce l�apr�s guerre non � Yalta comme on le dit le plus souvent (� Yalta les Etats Unis n�avaient pas encore l�arme) mais � Postdam (quelques jours avant le bombardement de Hiroshima et de Nagasaki). A Postdam le ton am�ricain a chang� : la d�cision d�engager ce qui allait devenir la � guerre froide � �tait prise par eux.

Ce double avantage absolu a �t� n�anmoins �rod� dans un temps relativement bref (deux d�cennies), par le double rattrapage, �conomique pour l�Europe capitaliste et le Japon, militaire pour l�Union sovi�tique. On se souviendra que ce recul relatif de la puissance des Etats Unis a aliment� � l��poque une floraison de discours sur � le d�clin am�ricain �, et m�me la mont�e des h�g�monismes alternatifs � venir (l�Europe, le Japon, plus tard la Chine �).

C�est le moment o� se situe le gaullisme. De Gaulle consid�re que l�objectif des Etats Unis depuis 1945 est le contr�le de tout l�Ancien Monde (� l�Eurasie �). Et que Washington est parvenu � avancer ses pions en cassant l�Europe � l�Europe � vraie �, de l�Atlantique � l�Oural, c�est � dire incluant la � Russie sovi�tique � comme il disait � en agitant le spectre d�une � agression � de Moscou � laquelle il ne croyait pas. Son analyse �tait, � mon avis, r�aliste et parfaite. Mais il �tait � peu pr�s le seul � le dire. La contre strat�gie qu�il envisageait en contrepoint de � l�atlantisme � promu par Washington, �tait fond�e sur la r�conciliation franco-allemande, sur la base de laquelle la construction d�une � Europe non am�ricaine � pourrait �tre mise en chantier, en ayant le soin de tenir � l��cart la Grande Bretagne, jug�e � � juste titre � comme le cheval de Troie de l�atlantisme. L�Europe en question pourrait alors ouvrir la voie � une r�conciliation avec la � Russie (sovi�tique) �. R�concilier et rapprocher les trois grands peuples europ�ens � les Fran�ais, les Allemands et les Russes � mettrait un terme d�finitif au projet am�ricain de domination du monde. Le conflit interne propre au projet europ�en peut �tre alors r�sum� dans le choix entre deux alternatives : l�Europe (atlantiste), volet europ�en du projet am�ricain ou l�Europe (int�grant en perspective la Russie) non atlantiste. Ce conflit n�est toujours pas r�solu. Mais les �volutions ult�rieures � la fin du gaullisme, l�admission de la Grande Bretagne dans l�Europe, l��largissement � l�Est, l�effondrement sovi�tique � ont jusqu�� pr�sent toutes favoris� ce que j�ai appel� � l�effacement de projet europ�en � et sa � double dilution dans la mondialisation �conomique n�o-lib�rale et dans l�alignement politico-militaire sur Washington � ( 3 ). Cette �volution conforte par ailleurs la solidit� du caract�re collectif de l�imp�rialisme de la triade.

S�agit-il donc d�une transformation qualitative � d�finitive � (non conjoncturelle) ? Implique-t-elle forc�ment un � leadership � des Etats Unis d�une mani�re ou l�autre ? Avant de tenter de r�pondre � ces questions il est n�cessaire d�expliciter avec davantage de pr�cision ce en quoi consiste le � projet � des Etats Unis.

2. Le projet de la classe dirigeante des Etats Unis : �tendre la doctrine Monroe � toute la Plan�te

Ce projet, que je qualifierai sans grande h�sitation de d�mesur�, d�mentiel m�me, et de criminel par ce qu�il implique, n�est pas n� dans la t�te du Pr�sident Bush junior, pour �tre mis en �uvre par une junte d�extr�me droite parvenue au pouvoir par une sorte de coup d�Etat, � la suite d��lections douteuses.

Il est le projet que la classe dirigeante des Etats Unis nourrit depuis 1945 et dont elle ne s�est jamais d�partie, m�me si, d��vidence, sa mise en �uvre est pass�e par des hauts et des bas, a connu quelques vicissitudes et a �t� ici et l� mise en �chec, et n�a pu �tre poursuivie avec la coh�rence et la violence que celle-ci implique que dans certains moments conjoncturels comme le n�tre, suite � l�effondrement de l�Union sovi�tique.

Le projet a toujours donn� un r�le d�cisif � sa dimension militaire. Il a �t� con�u apr�s Potsdam comme je l�ai rappel�, fond� sur le monopole nucl�aire. Tr�s rapidement les Etats Unis ont mis en place une strat�gie militaire globale, partag� la Plan�te en r�gions et affect� la responsabilit� du contr�le de chacune d�elles � un � US Military Command �. Je renvoie � ce que j�ai �crit sur ce sujet avant m�me l�effondrement de l�URSS, et sur la position prioritaire occup�e par le Moyen Orient dans cette vision strat�gique globale ( 4) . L�objectif n��tait pas seulement � d�encercler l�URSS � (et la Chine), mais tout �galement de disposer des moyens faisant de Washington le ma�tre en dernier ressort de toutes les r�gions de la plan�te. Autrement dit d��tendre � toute la Plan�te la doctrine Monroe, qui effectivement donne aux Etats Unis le � droit � exclusif de g�rer l�ensemble du Nouveau Monde conform�ment � ce qu�ils d�finissent comme leurs � int�r�ts nationaux �.

Le projet implique que la � souverainet� des int�r�ts nationaux des Etats Unis � soit plac� au dessus de tous les autres principes encadrant les comportements politiques consid�r�s comme des moyens � l�gitimes � ; il d�veloppe une m�fiance syst�matique � l��gard de tout droit supranational. Certainement les imp�rialismes du pass� ne s��taient pas comport� diff�remment et ceux qui cherchent � att�nuer les responsabilit�s � et les comportements criminels � de l�establishment des Etats Unis dans le moment actuel, et leur trouver des � excuses � (5 ), reprennent ce m�me argument � celui d�ant�c�dents historiques indiscutables.

Mais c�est pr�cis�ment ce qu�on aurait voulu voir changer dans l�histoire et qui �tait amorc� depuis 1945. C�est parce que le conflit des imp�rialismes et le m�pris du droit international par les puissances fascistes avaient produit les horreurs de la seconde guerre mondiale que l�ONU a �t� fond�e sur un principe nouveau proclamant le caract�re ill�gitime de la guerre. Les Etats Unis, dira-t-on, non seulement ont fait leur ce principe, mais de surcro�t en ont �t� largement les initiateurs pr�coces. Au lendemain de la premi�re guerre mondiale Wilson pr�conisait de refonder la politique internationale pr�cis�ment sur des principes autres que ceux qui, depuis le trait� de Westphalie (1648) ont donn� � la souverainet� des Etats monarchiques puis des Nations plus ou moins d�mocratiques ce caract�re absolu remis en cause par le d�sastre auquel il a conduit la civilisation moderne. Peu importe que les vicissitudes de la politique int�rieure des Etats Unis aient remis � plus tard la mise en �uvre de ces principes. F. Roosevelt, et m�me son successeur H. Truman, ont bien jou� un r�le d�cisif dans le concept nouveau de multilat�rialisme et la condamnation de la guerre qui l�accompagne, qui est � la base de la Charte des Nations Unies.

Cette belle initiative � soutenue par les peuples du monde entier � l��poque � qui repr�sente effectivement un saut qualitatif et ouvre la voie au progr�s de la civilisation, n�a n�anmoins jamais emport� la conviction des classes dirigeantes des Etats Unis. Les autorit�s de Washington se sont toujours senties mal � l�aise dans le concert de l�ONU et aujourd�hui proclament brutalement ce qu�elles �taient contraintes de cacher jusqu�ici : qu�elles n�acceptent pas le concept m�me d�un droit international sup�rieur � ce qu�elles consid�rent �tre les exigences de la d�fense de leurs � int�r�ts nationaux �. Je ne crois pas qu�il soit acceptable de trouver des excuses � ce retour � la vision que les Nazis avaient d�velopp�e en leur temps en exigeant la destruction de la SDN. Le plaidoyer en faveur du droit, d�velopp� avec talent et �l�gance par Villepin au Conseil de S�curit�, n�est pas, dans ce sens, un � regard nostalgique sur le pass� � mais au contraire un rappel de ce que l�avenir doit �tre. Ce sont les Etats Unis qui, � l�occasion, ont d�fendu un pass� qu�on avait proclam� d�finitivement d�pass�.

La mise en �uvre du projet est pass�e n�cessairement par des phases successives fa�onn�es par la r�alit� des rapports de force particuliers qui les d�finissaient.

Dans l�imm�diat apr�s guerre le leadership am�ricain �tait non seulement accept�, mais m�me sollicit� par les bourgeoises de l�Europe et du Japon. Car si la r�alit� d�une menace � invasion sovi�tique � ne pouvait convaincre que les faibles d�esprit, son invocation rendait de bons services � la droite comme aux sociaux-d�mocrates talonn�s par leurs cousins-adversaires communistes. On pouvait alors croire que le caract�re collectif du nouvel imp�rialisme n��tait d� qu�� ce facteur politique et que, une fois le retard sur les Etats Unis rattrap�, l�Europe et le Japon chercheraient � se d�barrasser de la tutelle encombrante et d�sormais inutile de Washington. Cela n�a pas �t� le cas. Pourquoi ?

Mon explication fait appel ici � la mont�e des mouvements de lib�ration nationale en Asie et en Afrique -l��re de Bandoung 1955-1975 � (6 ) et au soutien que l�Union sovi�tique et la Chine leur apportaient (chacun � sa mani�re). L�imp�rialisme �tait alors contraint de � faire avec �, non seulement donc d�accepter la coexistence pacifique avec une aire vaste qui lui �chappait largement (� le monde socialiste �) mais �galement de n�gocier les termes de la participation des pays d�Asie et d�Afrique au syst�me mondial imp�rialiste. L�alignement du collectif de la triade sur le leader am�ricain paraissait utile pour g�rer les rapports Nord-Sud de l��poque. C�est la raison pour laquelle les Non Align�s se trouvaient alors confront�s � un � bloc occidental � pratiquement sans faille.

L�effondrement de l�Union sovi�tique mais tout �galement l�essoufflement des r�gimes de nationalisme populiste issus de la lib�ration nationale ont �videmment permis au projet des Etats Unis de se red�ployer avec une extr�me vigueur, entre autre au Moyen Orient, mais aussi ailleurs en Afrique et en Am�rique latine. Il reste que le projet demeure au service de l�imp�rialisme collectif, jusqu�� un certain point tout au moins (que je tenterai de pr�ciser plus loin). Le gouvernement �conomique du monde sur la base des principes du n�o-lib�ralisme, mis en �uvre par le G7 et les institutions � son service (l�OMC, la Banque mondiale, le FMI), les plans de r�ajustement structurel impos�s au tiers monde essouffl� en sont l�expression. Sur le plan politique m�me on verra que dans un premier temps Europ�ens et Japonais ont accept� de s�inscrire dans l�alignement sur le projet des Etats Unis, � l�occasion des guerres du Golfe (1991), puis de Yougoslavie et d�Asie centrale (2002), acceptant la marginalisation de l�ONU au b�n�fice de l�OTAN. Ce premier temps n�est toujours pas d�pass�, m�me si quelques signes indiquent son craquement possible � partir de la guerre d�Irak (2003).

La classe dirigeante des Etats Unis proclame sans retenue aucune qu�elle ne � tol�rera � pas la reconstitution d�une puissance �conomique et militaire quelconque capable de mettre en question son monopole de domination de la Plan�te, et s�est donn�e, � cette fin, le droit de conduire des � guerres pr�ventives �. Trois adversaires potentiels principaux sont vis�s ici.

En premier lieu la Russie, dont le d�membrement, apr�s celui de l�URSS, constitue d�sormais un objectif strat�gique majeur des Etats Unis. La classe dirigeante russe ne paraissait pas l�avoir compris, jusqu�ici. Elle semblait convaincue qu�apr�s avoir � perdu la guerre �, elle pourrait � gagner la paix �, comme cela l�a �t� pour l�Allemagne et le Japon. Elle oubliait que Washington avait besoin du redressement de ses deux adversaires de la seconde guerre mondiale, pr�cis�ment pour faire face au d�fi sovi�tique. La conjoncture nouvelle est diff�rente, les Etats Unis n�ayant plus de concurrent s�rieux. Leur option est alors de d�truire d�finitivement et compl�tement l�adversaire russe d�fait. Poutine l�a-t-il compris et amorce-t-il une sortie de la Russie de ses illusions ?

En second lieu la Chine , dont la masse et le succ�s �conomique inqui�tent les Etats Unis dont l�objectif strat�gique reste ici �galement le d�membrement de ce grand pays (7).

L�Europe vient en troisi�me position dans cette vision globale des nouveaux ma�tres du monde. Mais ici l�establishment nord am�ricain ne para�t pas inquiet, tout au moins jusqu�� ce jour. L�atlantisme inconditionnel des uns (la Grande Bretagne, mais aussi les nouveaux pouvoirs serviles de l�Est), les � sables mouvants du projet europ�en � (point sur lequel je reviendrai), les int�r�ts convergents du capital dominant de l�imp�rialisme collectif de la triade, contribuent � l�effacement du projet europ�en, maintenu dans son statut de � volet europ�en du projet des Etats Unis �. La diplomatie de Washington �tait parvenue � maintenir l�Allemagne dans son sillage � la r�unification et la conqu�te de l�Europe de l�Est ont m�me sembl� renforcer cette alliance : l�Allemagne serait encourag�e � reprendre sa tradition de � pouss�e vers l�Est � (le r�le jou� par Berlin dans le d�membrement de la Yougoslavie par la reconnaissance h�tive de l�ind�pendance de la Slov�nie et de la Croatie en a �t� une expression (8) et, pour le reste, invit� � naviguer dans le sillage de Washington. Renversement de la vapeur en cours ? La classe politique allemande para�t h�sitante et peut �tre divis�e quant � ses choix de strat�gie. L�alternative � l�alignement atlantiste � qui semble avoir le vent en poupe � appelle, en contrepoint, un renforcement d�un axe Paris-Berlin-Moscou qui deviendrait alors le pilier le plus solide d�un syst�me europ�en ind�pendant de Washington.

On peut maintenant revenir sur notre question centrale :nature et solidit� �ventuelle de l�imp�rialisme collectif de la triade, contradictions et faiblesses de son leadership par les Etats Unis.

3. Imp�rialisme collectif de la triade et h�g�monisme des Etats Unis : leur articulation et leurs contradictions

Le monde d�aujourd�hui est militairement unipolaire. Simultan�ment des fractures semblent se dessiner entre les Etats Unis et certains des pays europ�ens pour ce qui concerne la gestion politique d�un syst�me mondialis� d�sormais align� dans son ensemble sur les principes du lib�ralisme, en principe tout au moins. Ces fractures sont-elles seulement conjoncturelles et de port�e limit�e, ou annoncent-elles des changements durables ? Il faudra donc analyser dans toute leur complexit� � la fois les logiques qui commandent le d�ploiement de la phase nouvelle de l�imp�rialisme collectif (les rapports Nord-Sud dans le langage courant) et les objectifs propres du projet des Etats Unis. Dans cet esprit j�aborderai succinctement et successivement cinq s�ries de questions.

Je sugg�re ici que la formation du nouvel imp�rialisme collectif trouve son origine dans la transformation des conditions de la concurrence. Il y a encore quelques d�cennies les grandes firmes livraient leurs batailles concurrentielles pour l�essentiel sur les march�s nationaux, qu�il s�agisse de celui de Etats Unis (le plus grand march� national au monde) ou m�me sur ceux des Etats europ�ens (en d�pit de leur taille modeste, ce qui les d�savantageait par rapport aux Etats Unis). Les vainqueurs des � matchs � nationaux pouvaient se produire en bonne position sur le march� mondial. Aujourd�hui, la taille du march� n�cessaire pour l�emporter au premier cycle de matchs approche des 500-600 millions de � consommateurs potentiels �. La bataille doit donc �tre livr�e d�embl�e sur le march� mondial et gagn�e sur ce terrain. Et ce sont ceux qui l�emportent sur ce march� qui s�imposent alors et de surcro�t sur leurs terrains nationaux respectifs. La mondialisation approfondie devient le cadre premier de l�activit� des grandes firmes. Autrement dit dans le couple national/mondial les termes de la causalit� sont invers�s : autrefois la puissance nationale commandait la pr�sence mondiale, aujourd�hui c�est l�inverse. De ce fait les firmes transnationales, quelle que soit leur nationalit�, ont des int�r�ts communs dans la gestion du march� mondial. Ces int�r�ts se superposent aux conflits permanents et mercantiles qui d�finissent toutes les formes de la concurrence propres au capitalisme, quelles qu�elles soient.

La solidarit� des segments dominants du capital transnationalis� de tous les partenaires de la triade est r�elle, et s�exprime par leur ralliement au n�o-lib�ralisme globalis�. Les Etats Unis sont vus dans cette perspective comme les d�fenseurs (militaires si n�cessaire) de ces � int�r�ts communs �. Il reste que Washington n�entend pas � partager �quitablement � les profits de son leadership. Les Etats Unis s�emploient au contraire � vassaliser leurs alli�s, et dans cet esprit ne sont pr�ts � consentir � leurs alli�s subalternes de la triade que des concessions mineures. Ce conflit d�int�r�ts du capital dominant est-il appel� � s�accuser au point d�entra�ner une rupture dans l�alliance atlantique ? Pas impossible, mais peu probable.

L�opinion courante, est que la puissance militaire des Etats Unis ne constituerait que le sommet de l�iceberg, prolongeant une sup�riorit� de ce pays dans tous les domaines, notamment �conomiques, voire politiques et culturels. La soumission � l�h�g�monisme auquel il pr�tend serait donc de ce fait incontournable.

Je pr�tends, en contrepoint que, dans le syst�me de l�imp�rialisme collectif les Etats Unis ne disposent pas d�avantages �conomiques d�cisifs, le syst�me productif des Etats Unis est loin d��tre � le plus efficient du monde �. Au contraire presque aucun de ses segments ne serait certain de l�emporter sur ses concurrents sur un march� v�ritablement ouvert comme l�imaginent les �conomistes lib�raux. En t�moigne le d�ficit commercial des Etats Unis qui s�aggrave d�ann�e en ann�e, pass� de100 milliards de dollars en 1989 � 500 en 2002. De surcro�t ce d�ficit concerne pratiquement tous les segments du syst�me productif. M�me l�exc�dent dont b�n�ficiaient les Etats Unis dans le domaine des biens de haute technologie, qui �tait de 35 milliards en 1990, a d�sormais laiss� la place � un d�ficit. La concurrence entre Ariane et les fus�es de la Nasa, Airbus et Boeing t�moigne de la vuln�rabilit� de l�avantage am�ricain. Face � l�Europe et au Japon pour les productions de haute technologie, � la Chine, � la Cor�e et aux autres pays industrialis�s d�Asie et d�Am�rique latine pour les produits manufactur�s banals, � l�Europe et au c�ne sud d�Am�rique latine pour l�agriculture, les Etats Unis ne l�emporteraient probablement pas sans le recours � des moyens � extra �conomiques � qui violent les principes du lib�ralisme impos�s aux concurrents !

En fait les Etats Unis ne b�n�ficient d�avantages comparatifs �tablis que dans le secteur des armements, pr�cis�ment parce que celui-ci �chappe largement aux r�gles du march� et b�n�ficie du soutien de l�Etat. Sans doute cet avantage entra�ne-t-il quelques retomb�es pour le civil (Internet en constitue l�exemple le plus connu), mais il est �galement � l�origine de distorsions s�rieuses qui constituent des handicaps pour beaucoup de secteurs productifs.

L��conomie nord am�ricaine vit en parasite au d�triment de ses partenaires dans le syst�me mondial. � Les Etats Unis d�pendent pour 10 % de leur consommation industrielle des biens dont l�importation n�est pas couverte par des exportations de produits nationaux � comme le rappelle Emmanuel Todd (9). Le monde produit, les Etats Unis (dont l��pargne nationale est pratiquement nulle) consomment. � L�avantage � des Etats Unis est celui d�un pr�dateur dont le d�ficit est couvert par l�apport des autres, consenti ou forc�. Les moyens mis en �uvre par Washington pour compenser ses d�ficiences sont de nature diverses : violations unilat�rales r�p�t�es des principes du lib�ralisme, exportations d�armements, recherche de sur-rentes p�troli�res (qui supposent la mise en coupe r�gl�e des producteurs, l'un des motifs r�els des guerres d�Asie centrale et d�Irak). Il reste que l�essentiel du d�ficit am�ricain est couvert par les apports en capitaux en provenance de l�Europe et du Japon, du Sud (pays p�troliers riches et classes compradore de tous les pays du tiers monde, plus pauvres inclus), auquel on ajoutera la ponction exerc�e au titre du service de la dette impos�e � la presque totalit� des pays de la p�riph�rie du syst�me mondial.

La croissance des ann�es Clinton, vant�e comme �tant le produit du � lib�ralisme � auquel l�Europe aurait malheureusement trop r�sist�, est en fait largement factice et en tout cas non g�n�ralisable, puisqu�elle repose sur des transferts de capitaux qui impliquent la stagnation des partenaires. Pour tous les segments du syst�me productif r�el, la croissance des Etats Unis n�a pas �t� meilleure que celle de l�Europe. Le � miracle am�ricain � s�est exclusivement aliment� de la croissance des d�penses produites par l�aggravation des in�galit�s sociales (services financiers et personnels : l�gions d�avocats et de polices priv�es etc �). En ce sens le lib�ralisme de Clinton a bel et bien pr�par� les conditions qui ont permis l�essor r�actionnaire et la victoire ult�rieure de Bush fils.

Les causes qui sont � l�origine de l�affaiblissement du syst�me productif des Etats Unis sont complexes. Elles ne sont certainement pas conjoncturelles, pouvant de ce fait �tre corrig�es par exemple par l�adoption d�un taux de change correct, ou par la construction de rapports salaires/productivit�s plus favorables. Elles sont structurelles. La m�diocrit� des syst�mes de l�enseignement g�n�ral et de la formation, et le pr�jug� tenace favorisant syst�matiquement le � priv� � au d�triment du service public, comptent parmi les raisons majeures de la crise profonde que traverse la soci�t� des Etats Unis.

On devrait s��tonner donc que les Europ�ens, loin de tirer les conclusions que le constat des insuffisance de l��conomie des Etats Unis impose, s�activent au contraire � les imiter. L� �galement le virus lib�ral n�explique pas tout, m�me s�il remplit quelques fonctions utiles pour le syst�me, en paralysant la gauche. La privatisation � outrance, le d�mant�lement des services publics ne pourront que r�duire les avantages comparatifs dont b�n�ficie encore la � vieille Europe � (comme la qualifie Bush). Mais quels que soient les dommages qu�elles occasionneront � long terme, ces mesures offrent au capital dominant, qui vit dans le court terme, l�occasion de profits suppl�mentaires.

La strat�gie h�g�moniste des Etats Unis se situe dans le cadre du nouvel imp�rialisme collectif.

Les � �conomistes (conventionnels) � ne disposent pas de l�outillage analytique que leur permettrait de saisir toute l�importance du premier de ces objectifs. Ne les entend-on pas r�p�ter ad nauseam que dans � la nouvelle �conomie � les mati�res premi�res que fournit le tiers monde sont appel�es � perdre leur importance et que de ce fait celui-ci est de plus en plus marginal dans le syst�me mondial. En contrepoint � ce discours na�f et creux (Le Mein Kampf de la nouvelle administration de Washington (10) avoue que les Etats Unis se sont donn�s le droit de s�emparer de toutes les ressources naturelles de la Plan�te pour satisfaire en priorit� les exigences de leur consommation. La course aux mati�res premi�res (le p�trole en premier lieu, mais tout autant d�autres ressources � l�eau notamment) a d�j� repris toute sa virulence. D'autant que ces ressources risquent d'�tre rar�fi�es non seulement par le cancer exponentiel du gaspillage de la consommation occidentale, mais aussi par le d�veloppement de la nouvelle industrialisation des p�riph�ries.

Par ailleurs un nombre respectable de pays du Sud sont appel�s � devenir des producteurs industriels de plus en plus importants tant pour leurs march�s internes que sur le march� mondial. Importateurs de technologies, de capitaux, mais aussi concurrents � l'exportation, ils sont appel�s � peser dans les �quilibres �conomiques mondiaux d'un poids grandissant. Et il ne s'agit pas seulement de quelques pays de l'Asie de l'Est (comme la Cor�e), mais de l'immense Chine et, demain, de l'Inde et des grands pays d'Am�rique latine. Or, loin d'�tre un facteur de stabilisation, l'acc�l�ration de l'expansion capitaliste dans le Sud ne peut �tre qu'� l'origine de conflits violents, internes et internationaux. Car cette expansion ne peut absorber, dans les conditions de la p�riph�rie, l'�norme r�serve de force de travail qui s'y trouve concentr�e. De ce fait les p�riph�ries du syst�me demeurent la �zone des temp�tes �. Les centres du syst�me capitalistes ont donc besoin d'exercer leur domination sur les p�riph�ries, de soumettre leurs peuples � la discipline impitoyable que la satisfaction de ses priorit�s exige.

Dans cette perspective l'establishment am�ricain a parfaitement compris que, dans la poursuite de son h�g�monisme, il disposait de trois avantages d�cisifs sur ses concurrents europ�en et japonais: le contr�le des ressources naturelles du globe, le monopole militaire, le poids de la � culture anglo saxonne � par laquelle s'exprime pr�f�rentiellement la domination id�ologique du capitalisme. La mise en oeuvre syst�matique de ces trois avantages �claire beaucoup d'aspects de la politique des Etats Unis, notamment les efforts syst�matiques que Washington poursuit pour le contr�le militaire du Moyen Orient p�trolier,sa strat�gie offensive � l� �gard de la Cor�e - mettant � profit la � crise financi�re � de ce pays - et � l'�gard de la Chine, son jeu subtil visant � perp�tuer les divisions en Europe - en mobilisant � cette fin son alli� inconditionnel britannique - et � emp�cher un rapprochement s�rieux entre l'Union Europ�enne et la Russie. Au plan du contr�le global des ressources de la plan�te les Etats Unis disposent d'un avantage d�cisif sur l'Europe et le Japon. Non seulement parce que les Etats Unis sont la seule puissance militaire mondiale, et donc qu'aucune intervention forte dans le tiers monde ne peut �tre conduite sans eux. Mais encore parce que l'Europe (ex URSS exclue) et le Japon sont, eux, d�munis des ressources essentielles � la suivie de leur �conomie. Par exemple leur d�pendance dans le domaine �nerg�tique, notamment leur d�pendance p�troli�re � l'�gard du Golfe, est et restera longtemps consid�rable, m�me si elle devait d�cro�tre en termes relatifs. En s'emparant - militairement - du contr�le de cette r�gion par la guerre d�Irak les Etats Unis ont d�montr� qu'ils �taient parfaitement conscients de l'utilit� de ce moyen de pression dont ils disposent � l'�gard de leurs alli�s-concurrents. Nagu�re le pouvoir sovi�tique avait �galement compris cette vuln�rabilit� de l'Europe et du Japon et certaines interventions sovi�tiques dans le tiers monde avaient eu pour objet de le leur rappeler, de mani�re � les amener � n�gocier sur d'autres terrains. Evidemment les d�ficiences de l'Europe et du Japon pourraient �tre compens�es dans l'hypoth�se d'un rapprochement s�rieux Europe-Russie ( � la maison commune � de Gorbatchev) C'est la raison m�me pour laquelle le danger de cette construction de l'Eurasie est v�cu par Washington comme un cauchemar.

Si les partenaires de la Triade partagent des int�r�ts communs que la gestion mondiale de l�imp�rialisme collectif implique dans leurs relations avec le Sud, ils n�en sont pas moins dans un rapport de conflit potentiel s�rieux.

La super puissance am�ricaine vit au jour le jour gr�ce au flux des capitaux qui alimente le parasitisme de son �conomie et de sa soci�t�. La vuln�rabilit� des Etats Unis constitue, de ce fait, une menace s�rieuse pour le projet de Washington.

L�Europe en particulier, mais le reste du monde en g�n�ral, devront choisir entre l�un ou l�autre des deux options strat�giques suivantes : placer le � surplus � de leurs capitaux (� d��pargne �) dont ils disposent pour financer le d�ficit des Etats Unis (de la consommation, des investissements et des d�penses militaires) ; ou conserver et investir chez eux ce surplus.

Les �conomistes conventionnels ignorent le probl�me, ayant fait l�hypoth�se (qui n�est qu�un non sens) que la � mondialisation � ayant supprim� les Nations, les grandeurs �conomiques (�pargne et investissement) ne peuvent plus �tre g�r�es � aux niveaux nationaux �. Il s�agit l� d�un raisonnement tautologique qui implique dans ses pr�misses m�mes les conclusions auxquelles on souhaite parvenir : justifier et accepter le financement du d�ficit des Etats Unis par les autres puisque, au niveau mondial, on retrouve bien l��galit� �pargne-investissement !

Pourquoi donc une telle ineptie est-elle accept�e ? Sans doute les �quipes � d��conomistes-savants � qui encerclent les classes politiques europ�ennes (et autres, russes et chinoises) de droite comme de la gauche �lectorale sont-elles elles m�mes victimes de leur ali�nation �conomiciste, de ce que j�appelle le � virus lib�ral �. Au del�, � travers cette option s�exprime en fait le jugement politique du grand capital transnationalis� qui consid�re que les avantages procur�s par la gestion du syst�me mondialis� par les Etats Unis pour le compte de l�imp�rialisme collectif l�emportent sur ses inconv�nients : le tribut qu�il faut payer � Washington pour en assurer la permanence. Car il s�agit bien l� d�un tribut et non d�un � placement � de bonne rentabilit� garantie. Il y a des pays qualifi�s de � pays pauvres endett�s � qui sont toujours contraints d�assurer le service de leur dette quelqu�en soit le prix. Mais il y a aussi un � pays puissant endett� qui dispose des moyens qui lui permettront de d�valoriser sa dette s�il le juge n�cessaire.

L�autre option consisterait donc pour l�Europe (et le reste du monde) � mettre un terme � la transfusion en faveur des Etats Unis. Le surplus pourrait alors �tre utilis� sur place (en Europe) et relancer l��conomie. Car la transfusion exige la soumission des Europ�ens � des politiques � d�flationnistes � (terme impropre du langage de l��conomie conventionnelle) � je dirai � stagnationnistes � - de mani�re � d�gager un surplus d��pargne exportable. Elle fait d�pendre une reprise en Europe � toujours m�diocre - de celle � soutenue artificiellement � des Etats Unis. En sens inverse la mobilisation de ce surplus pour des emplois locaux en Europe permettrait de relancer simultan�ment la consommation (par la reconstruction de la dimension sociale de la gestion �conomique d�vast�e par le virus lib�ral), l�investissement � et particulier dans les technologies nouvelles (et financer leurs recherches), voire la d�pense militaire (mettant un terme aux � avantages � des Etats Unis dans ce domaine). L�option en faveur de cette r�ponse au d�fi implique un r��quilibrage des rapports sociaux en faveur des classes travailleuses. Conflits des Nations et luttes sociales s�articulent de cette mani�re. En d�autres termes le contraste Etats Unis/Europe n�oppose pas fondamentalement les int�r�ts des segments dominants du capital des diff�rents partenaires. Il r�sulte avant tout de la diff�rence des cultures politiques.

La complicit�-concurrence entre les partenaires de l�imp�rialisme collectif pour le contr�le du Sud � le pillage de ses ressources naturelles et la soumission de ses peuples � peut �tre analys�e � partir d�angles de visions diff�rentes. Je ferai, � cet �gard, trois observations qui me paraissent majeures.

Premi�re observation : le syst�me mondial contemporain, celui que je qualifie d�imp�rialiste collectif, n�est pas � moins � imp�rialiste que les pr�c�dents. Il n�est pas un � Empire � de nature � post capitaliste �. J�ai propos� ailleurs une critique des formulations id�ologiques de � d�guisement � qui alimentent le discours dominant de � l�air du temps � (11).

Seconde observation : j�ai propos� une lecture de l�histoire du capitalisme, mondialis� d�s l�origine, ax�e sur la distinction entre les diff�rentes phases de l�imp�rialisme (des rapports centres/p�riph�ries). Il existe bien entendu d�autres lectures de cette m�me histoire, notamment celle qui s�articule autour de la � succession des h�g�monies � (12).

J�ai quelques r�serves � l��gard de cette derni�re lecture.

D�abord et pour l�essentiel parce qu�elle est � occidentalocentrique � dans ce sens qu�elle consid�re que les transformations qui op�rent au c�ur du syst�me, dans ses centres, commandent d�une mani�re d�cisive � et presqu�exclusive � l��volution globale du syst�me. Je crois que les r�actions des peuples des p�riph�ries au d�ploiement imp�rialiste ne doivent pas �tre sous estim�es. Car elles ont provoqu� ne serait-ce que l�ind�pendance des Am�riques, les grandes r�volutions faites au nom du socialisme (Russie, Chine), la reconqu�te de l�ind�pendance par les pays asiatiques et africains, et je ne crois pas qu�on puisse rendre compte de l�histoire du capitalisme mondial sans tenir compte des � ajustements � que ces transformations ont impos� au capitalisme central lui m�me.

Ensuite parce que l�histoire de l�imp�rialisme me para�t davantage avoir �t� faite � travers le conflit des imp�rialismes que par le type � d�ordre � que des h�g�monies successives auraient impos�. Les p�riodes � d�h�g�monie � apparente ont toujours �t� fort br�ves et l�h�g�monie en question tr�s relative.

Troisi�me observation : mondialisation n�est pas synonyme � d�unification � du syst�me �conomique par � l�ouverture d�r�gul�e des march�s �. Cette derni�re � dans ses formes historiques successives (� la libert� du commerce � hier, la � libert� d�entreprise � aujourd�hui) n�a jamais constitu� que le projet du capital dominant. Dans la r�alit� ce projet a presque toujours �t� contraint de s�ajuster � des exigences qui ne rel�vent pas de sa logique interne exclusive et propre. Il n�a donc jamais pu �tre mis en �uvre autrement que dans des moments brefs de l�histoire. Le � libre �change � promu par la puissance industrielle majeure de son �poque � la Grande Bretagne � n�a �t� effectif que pendant deux d�cennies (1860-1880) auxquels a succ�d� un si�cle (de 1880 � 1980) caract�ris� � la fois par le conflit des imp�rialistes et par la d�connexion forte des pays dits socialistes (� partir de la r�volution russe de 1917, puis de celle de la Chine) et plus modeste des pays de nationalisme populiste (l��re de Bandoung pour l�Asie et l�Afrique de 1955 � 1975). Le moment actuel de r�unification du march� mondial (la � libre entreprise �) inaugur� par le n�o-lib�ralisme � partir de 1980 a �tendu � l�ensemble de la plan�te avec l�effondrement sovi�tique, n�est probablement pas appel� � conna�tre un sort meilleur. Le chaos qu�il g�n�re � terme par lequel j� ai qualifi� ce syst�me d�s 1990 - t�moigne de son caract�re � d�utopie permanente du capital �(13).

  1. Le Moyen Orient dans le syst�me imp�rialiste

1-Le Moyen Orient, avec d�sormais ses extensions en direction du Caucase et de l�Asie Centrale ex sovi�tiques, occupe une position d�une importance particuli�re dans la g�ostrat�gie/g�opolitique de l�imp�rialisme et singuli�rement du projet h�g�moniste des Etats Unis. Il doit cette position � trois facteurs : sa richesse p�troli�re, sa position g�ographique au c�ur de l�Ancien Monde, et le fait qu�il constitue d�sormais le � ventre mou � du syst�me mondial.

L�acc�s au p�trole � bon march� relatif est vital pour l��conomie de la triade dominant ; et le meilleur moyen de voir cet acc�s garanti consiste, bien entendu, � s�assurer le contr�le politique de la r�gion.

Mais la r�gion tient son importance tout �galement � sa position g�ographique, au centre de l�ancien Monde, � �gale distance de Paris, P�kin, Singapour, Johannesburg. Dans les temps anciens le contr�le de ce lieu de passage oblig� avait donn� au Califat le privil�ge de tirer le meilleur des b�n�fices de la mondialisation de l��poque (14). Apr�s la seconde guerre mondiale la r�gion, situ�e sur le flanc sud de l�URSS, occupait de ce fait une place de choix dans la strat�gie d�encerclement militaire de la puissance sovi�tique. Et la r�gion n�a pas perdu son importance, en d�pit de l�effondrement de l�adversaire sovi�tique ; en s�y installant les Etats Unis parviendraient simultan�ment � vassaliser l�Europe, d�pendante pour son ravitaillement �nerg�tique, et � soumettre la Russie, la Chine et l�Inde � un chantage permanent assorti de menaces d�interventions militaires si n�cessaire. Le contr�le de la r�gion permettrait donc effectivement l�extension � l�ancien Monde de la doctrine Monroe, qui constitue l�objectif du projet h�g�moniste des Etats Unis.

Les efforts d�ploy�s avec continuit� et constance par Washington depuis 1945 pour s�assurer le contr�le de la r�gion � et en exclure les Britanniques et les Fran�ais � n�avaient jusqu�ici pas �t� couronn�s de succ�s. On se souvient de l��chec de leur tentative d�associer la r�gion � l�OTAN par le biais du pacte de Bagdad, comme plus tard de la chute du Shah d�Iran, l�un de leurs alli�s parmi les plus fid�les.

La raison en est que tout simplement le projet du populisme nationaliste arabe (et iranien) entrait de plein fouet en conflit avec les objectifs de l�h�g�monisme am�ricain. Ce projet arabe avait l�ambition certaine d�imposer la reconnaissance par les Puissances de l�ind�pendance du monde arabe. C��tait le sens du � non alignement �, formul� d�s 1955 � Bandoung par l�ensemble des mouvements de lib�ration des peuples d�Asie et d�Afrique, qui avaient le vent en poupe. Les Sovi�tiques ont rapidement compris qu�en apportant leur soutien � ce projet ils tiendraient en �chec les plans agressifs de Washington.

La page de cette �poque est tourn�e, d�abord parce que le projet nationaliste populiste du monde arabe a rapidement �puis� son potentiel de transformation, les pouvoirs nationalistes se sont enfonc�s dans des dictatures sans programme. Le vide cr�� par cette d�rive a ouvert la voie � l�Islam politique et aux autocraties obscurantistes du Golfe, les alli�s pr�f�rentiels de Washington. La r�gion est devenue l�un des ventres du syst�me global, produisant des conjonctures qui permettent l�intervention ext�rieure (y compris militaire) que les r�gimes en place ne sont plus � m�me de contenir � ou de d�courager � faute de l�gitimit� aupr�s de leurs peuples.

La r�gion constituait � et continue � constituer � dans le d�coupage g�omilitaire am�ricain qui couvre la plan�te enti�re, une zone consid�r�e comme �tant de premi�re priorit� (comme les Cara�bes) c�est � dire une zone o� les Etats Unis se sont octroy�s le � droit � d�intervention militaire. Depuis 1990 ils ne s�en privent pas !

Les Etats Unis op�rent au Moyen orient en �troite collaboration avec leurs deux alli�s fid�les inconditionnels � la Turquie et Isra�l. L�Europe s�est tenue � l��cart de la r�gion, acceptant que les Etats Unis y d�fendent seuls les int�r�ts vitaux globaux de la triade, c�est � dire son ravitaillement en p�trole. En d�pit des signes d�irritation �vident, depuis la guerre d�Irak les Europ�ens continuent dans l�ensemble � naviguer dans la r�gion dans le sillage de Washington.

2-L�expansionnisme colonial d�Isra�l constitue un d�fi r�el. Isra�l est le seul pays au monde qui refuse de se reconna�tre des fronti�res d�finitives quelconques (et � ce titre n�aurait pas le droit d��tre membre des Nations Unis). Comme les Etats Unis au XIXe si�cle il consid�re qu�il a le � droit � de conqu�rir de nouvelles aires pour l�expansion de sa colonisation et y traiter les peuples qui les habitent depuis mille ans sinon davantage comme des Peaux Rouges. Isra�l est le seul pays qui d�clare ouvertement ne pas s�estimer li� par les r�solutions de l�ONU.

La guerre de 1967, planifi�e en accord avec Washington d�s 1965, poursuivait plusieurs objectifs : amorcer l�effondrement des r�gimes nationalistes populistes, briser leur alliance avec l�Union sovi�tique, les contraindre � se repositionner dans le sillage am�ricain, ouvrir des terres nouvelles � la colonisation sioniste. Dans les territoires conquis en 1967 Isra�l mettait donc en place un syst�me d�apartheid inspir� de celui de l�Afrique du Sud.

C�est ici que les int�r�ts du capital dominant mondialement rejoignent ceux du sionisme. Car un monde arabe modernis�, riche et puissant remettrait en question l�acc�s garanti des pays occidentaux au pillage de ses ressources p�troli�res, n�cessaire � la poursuite du gaspillage associ� � l�accumulation capitaliste. Les pouvoirs politiques dans les pays de la Triade tels qu�ils sont � c�est � dire fid�les servants du capital transnational dominant � ne veulent pas d�un monde arabe modernis� et puissant.

L�alliance entre les puissances occidentales et Isra�l est donc fond�e sur le socle solide de leurs int�r�ts communs. Cette alliance n�est ni le produit d�un sentiment de culpabilit� des Europ�ens, responsables de l�antis�mitisme et du crime nazi, ni celui de l�habilet� du � lobby juif � � exploiter ce sentiment. Si les puissances occidentales pensaient que leurs int�r�ts �taient desservis par l�expansionnisme colonial sioniste ils trouveraient rapidement les moyens de surmonter leur � complexe � et de neutraliser le � lobby juif �. Je n�en doute pas, n��tant pas de ceux qui croient na�vement que l�opinion publique dans les pays d�mocratiques tels qu�ils sont impose ses vues aux pouvoirs. On sait que l�opinion � �a se fabrique � aussi. Isra�l est incapable de r�sister plus que quelques jours � des mesures (m�me mod�r�es) d�un blocus qu�on lui imposerait comme celui que les puissances occidentales ont inflig� � la Yougoslavie, � l�Irak, � Cuba. Il ne serait donc pas difficile de mettre Isra�l � raison et de cr�er les conditions d�une paix v�ritable, si on le voulait. On ne le veut pas.

Au lendemain de la d�faite de 1967 Sadate d�clarait que puisque les Etats Unis d�tenaient dans leur jeu � 90 % des cartes � (c��tait son expression m�me) il fallait rompre avec l�URSS, r�int�grer le camp occidental et que, ce faisant, on pourrait obtenir de Washington qu�il exerce une pression suffisante sur Isra�l pour l�amener � la raison. Au del� m�me de cette � id�e strat�gique � propre � Sadate � dont la suite des �v�nements a prouv� l�inconsistance � l�opinion publique arabe demeure largement incapable de comprendre la dynamique de l�expansion capitaliste mondiale, encore moins d�y identifier les contradictions et faiblesses v�ritables. N�entend-on pas dire et r�p�ter que � les Occidentaux comprendront � la longue que leur int�r�t m�me est d�entretenir de bonnes relations avec les deux cents millions d�Arabes � leurs voisins imm�diats � et � ne pas sacrifier ces relations � leur soutien inconditionnel � Isra�l � ? C�est implicitement penser que les � Occidentaux � en question (c�est � dire le capital dominant) souhaitent un monde arabe modernis� et d�velopp�, et ne pas comprendre qu�ils veulent au contraire le maintenir dans l�impuissance et que pour cela leur soutien � Isra�l leur est utile.

L�option faite par les gouvernements arabes � � l�exception de la Syrie et du Liban � qui les a conduit par la n�gociation de Madrid et d�Oslo (1993) � souscrire au plan am�ricain de pr�tendue � paix d�finitive �, ne pouvait donner d�autres r�sultats que ceux qu�elle a donn�s : encourager Isra�l � avancer ses pions dans son projet expansionniste. En rejetant aujourd�hui ouvertement les termes du � contrat d�Oslo �, Ariel Sharon d�montre seulement ce qu�on aurait du comprendre plus t�t � � savoir qu�il ne s�agissait pas d�un projet de � paix d�finitive �, mais d�ouvrir une �tape nouvelle � l�expansion coloniale sioniste.

L��tat de guerre permanente qu�Isra�l et les puissances occidentales qui soutiennent son projet imposent dans la r�gion constitue � son tour un motif puissant permettant aux syst�mes arabes autocratiques de se perp�tuer. Ce blocage d�une �volution d�mocratique possible affaiblit les chances d�un renouveau arabe et fait donc l�affaire du d�ploiement du capital dominant et de la strat�gie h�g�moniste des Etats Unis. La boucle est boucl�e : l�alliance isra�lo-am�ricaine sert parfaitement les int�r�ts des deux partenaires.

Dans un premier temps ce syst�me d�apartheid mis en place depuis 1967 a donn� l�impression d��tre capable de parvenir � ses fins, la gestion peureuse de la quotidiennet� dans les territoires occup�s par les notabilit�s et la bourgeoisie commer�ante paraissant accept�e par le peuple palestinien. L�OLP �loign�e de la r�gion apr�s l�invasion du Liban par l�arm�e isra�lienne (1982) paraissait ne plus avoir les moyens � de son exil lointain de Tunis � de remettre en cause l�annexion sioniste.

Le premi�re intifida �clate en d�cembre 1987. Explosion d�apparence � spontan�e �, elle exprime l�irruption sur la sc�ne des classes populaires, et singuli�rement de ses segments les plus pauvres, confin�s dans les camps de r�fugi�s. L�intifada boycotte le pouvoir isra�lien par l�organisation d�une d�sob�issance civique syst�matique. Isra�l r�agit avec brutalit� ; mais ne parvient ni � r�tablir son pouvoir policier efficace ni � remettre en selle celui des classes moyennes tampons palestiniennes peureuses. Au contraire l�intifada appelle un retour en masse des forces politiques en exil, la constitution de nouvelles formes locales d�organisation et le ralliement des classes moyennes � la lutte de lib�ration engag�e. L�intifada a �t� le fait de jeunes � Chebab al intifada � au d�part non organis�s dans les r�seaux formels de l�OLP, mais pas davantage concurrents hostiles � ceux-ci. Les quatre composantes de l�OLP (Fath, d�vou� � son chef Yasser Arafat, le FDLP et le FPLP, le Parti Communiste) se sont imm�diatement engouffr�s dans l�intifada et de ce fait ont gagn� � eux la sympathie de beaucoup de ces Chebab. Les Fr�res Musulmans d�pass�s par leur faible activit� durant les ann�es pr�c�dentes en d�pit de quelques actions du Jihad islamique faisant son apparition en 1980 c�daient la place � une nouvelle expression de lutte � Hamas, constitu� en 1988.

Tandis que cette premi�re intifada donnait apr�s deux ans d�expansion des signes d�essoufflement tant la r�pression isra�lienne a �t� violente (usage d�armes � feu contre des enfants, fermeture de la � ligne verte � aux travailleurs palestiniens, source devenue exclusive de revenus pour leurs familles etc.), la sc�ne �tait mont�e pour une � n�gociation � dont les Etats Unis ont pris l�initiative conduisant � Madrid (1991) puis aux accords dits de paix d�Oslo (1993). Ces accords ont permis le retour de l�OLP dans les territoires occup�s et sa transformation en une � Autorit� palestinienne � (1994).

Les accords d�Oslo avaient imagin� la transformation des territoires occup�s en un ou plusieurs Bantoustans, d�finitivement int�gr�s dans l�espace isra�lien. Dans ce cadre l�Autorit� Palestinienne ne devait �tre qu�un faux Etat � comme ceux des Bantoustans -, en fait la courroie de transmission de l�ordre sioniste.

Rentr� en Palestine, l�OLP devenue Autorit� est parvenue � �tablir son ordre, non sans quelque ambigu�t�. L�Autorit� a absorb� dans ses nouvelles structures la majeure partie des Chebab qui avaient coordonn� l�intifada. Elle est parvenue � se donner une l�gitimit� par la consultation �lectorale de 1996, � laquelle les Palestiniens ont particip� en masse (80 %), tandis que Arafat se faisait pl�bisciter Pr�sident de cette Autorit�. L�Autorit� demeure n�anmoins dans une position ambigu� : acceptera-t-elle de remplir les fonctions qu�Isra�l, les Etats Unis et l�Europe lui attribuent � celle de � gouvernement d�un Bantoustan � ? ou se rangera-t-elle avec le peuple palestinien qui refuse de se soumettre ?

C�est bien parce que le peuple palestinien refuse le projet de Bantoustan qu�Isra�l a d�cid� de d�noncer les accords d�Oslo, dont il avait pourtant dict� les termes, pour leur substituer l�emploi de la violence militaire pure et simple. La provocation du plateau des Mosqu�es, mise en �uvre par le criminel de guerre Sharon en 1998 (mais avec le soutien du gouvernement alors travailliste qui lui a fourni les chars d�assaut), l��lection triomphale de ce m�me criminel � la t�te du gouvernement d�Isra�l (et la collaboration des � colombes � comme Simon Peres � ce gouvernement), sont donc � l�origine de la seconde intifada, en cours.

Celle-ci parviendra-t-elle � lib�rer le peuple palestinien de la perspective de sa soumission planifi�e � l�apartheid sioniste . Trop t�t pour le dire. En tout cas le peuple palestinien dispose maintenant d�un v�ritable mouvement de lib�ration nationale. Il a ses sp�cificit�s. Il n�est pas du style � parti unique �, d�apparence (sinon en r�alit�) � unanime � et homog�ne. Il est fait de composantes qui conservent leurs personnalit�s propres, leurs visions de l�avenir, leurs id�ologies m�me, leurs militants et m�me leurs client�les, mais qui, apparemment savent s�entendre pour mener la lutte ensemble.

3-L��rosion des r�gimes de nationalisme populiste et la disparition du soutien sovi�tique ont donn� aux Etats Unis l�occasion de mettre en �uvre pour � projet � pour la r�gion, sans obstacle capable de les faire reculer jusqu�ici

Le contr�le du Moyen Orient est certainement une pi�ce ma�tresse du projet d�h�g�monie mondiale de Washington. Comment donc les Etats Unis imaginent-ils s�assurer le contr�le ?Il y a d�j� une dizaine d�ann�es Washington avait pris l�initiative d�avancer le projet curieux d�un � march� commun du Moyen Orient � dans lequel des pays du Golfe auraient fourni le capital, les autres pays arabes la main d��uvre � bon march�, r�servant � Isra�l le contr�le technologique et les fonctions de l�interm�diaires oblig�. Accept� par les pays du Golfe et l�Egypte, le projet se heurtait n�anmoins au refus de la Syrie, de l�Irak et de l�Iran. Il fallait donc, pour aller de l�avant, abattre ces trois r�gimes. Or c�est aujourd�hui fait pour l�Irak.

La question est alors de savoir quel type de r�gime politique doit �tre mis en place, capable de soutenir le projet. Les discours d�emballage de la propagande de Washington parlent de � d�mocraties �. En fait Washington ne s�emploie � rien d�autre qu�� substituer aux autocraties us�es du populisme d�pass� des autocraties obscurantistes pr�tendues � islamiques � (respect de la sp�cificit� culturelle des � communaut�s � oblige). L�alliance renouvel�e avec un Islam politique dit � mod�r� � (c�est � dire capable de ma�triser la situation avec suffisamment d�efficacit� pour interdire les d�rives � terroristes � - celles dirig�es contre les Etats Unis et elles seules bien entendu) constitue l�axe de l�option politique de Washington au demeurant son seule option possible. C�est dans cette perspective que la r�conciliation avec l�autocratie archa�que du syst�me s�oudien sera recherch�e.

Face au d�ploiement du projet des Etats Unis, les Europ�ens inventaient leur propre projet, baptis� � partenariat euro-m�diterran�en �. Un projet fort peu hardi, encombr� de bavardages sans suite, mais qui, lui �galement, se proposait de � r�concilier les pays arabes avec Isra�l �, tandis qu�en excluant les pays du Golfe du � dialogue euro-m�diterran�ens � ces m�mes Europ�ens reconnaissaient par l� m�me que la gestion de ces derniers pays relevait de la responsabilit� exclusive de Washington (15)

Le contraste saisissant entre l�audace t�m�raire du projet am�ricain et la d�bilit� de celui de l�Europe est un bel indicateur que l�atlantisme r�ellement existant ignore le � sharing � (le partage des responsabilit�s et l�association dans la prise de d�cision, pla�ant sur pied d��galit� les Etats Unis et l�Europe). Tony Blair, qui se fait l�avocat de la construction d�un monde � unipolaire � croit pouvoir justifier cette option parce que l�atlantisme qui le permettrait serait fond� sur le � sharing �. L�arrogance de Washington d�ment chaque jour davantage cet espoir illusoire, si ce n�est tout simplement pas l� le moyen de berner les opinions europ�ennes. Le r�alisme du propos de Staline qui avait dit en son temps des nazis � qu�ils ne savaient pas o� il fallait s�arr�ter � s�applique � la lettre � la junte qui gouverne les Etats Unis. Et les � espoirs � que Blair tente de r�animer n�en ressemblent que davantage � ceux que Mussolini pla�ait dans sa capacit� � d�assagir � Hitler !

Une autre option europ�enne est-elle possible ? Se dessine-t-elle ? Le discours de Chirac opposant au monde � atlantique unipolaire � (qu�il comprend bien, semble-t-il, comme �tant en fait synonyme d�h�g�monie unilat�rale des Etats Unis, r�duisant le projet europ�en � n��tre rien de plus que le volet europ�en du projet de Washington) la construction d�un monde � multipolaire � annonce-t-il la fin de l�atlantisme ?

Pour que cette possibilit� devienne r�alit� encore faudrait-il que l�Europe parvienne � sortir des sables mouvants sur lesquels elle patine.

. Les sables mouvants du projet europ�en

Tous les gouvernements des Etats europ�ens sont jusqu�� pr�sent ralli�s aux th�ses du lib�ralisme. Ce ralliement des Etats europ�ens ne signifie donc rien de moins que l'effacement du projet europ�en, sa double dilution �conomique (les avantages de l'union �conomique europ�enne se dissolvent dans la mondialisation �conomique) et politique (l'autonomie politique et militaire europ�enne dispara�t). Il n'y a pas, � l'heure actuelle, de projet europ�en. On lui a substitu� un projet nord atlantique (ou �ventuellement de la Triade) sous commandement am�ricain.

Les guerres � made in USA � ont certainement r�veill� les opinions publiques � partout en Europe contre la derni�re en date, celle d�Irak � et m�me certains gouvernements, en premier lieu celui de la France, mais aussi ceux de l�Allemagne, de la Russie et au del� de la Chine. Il reste que ces m�mes gouvernements n�ont pas remis en cause leur fid�le alignement sur les exigences du lib�ralisme. Cette contradiction majeure devra �tre surmont�e d�une mani�re ou d�une autre, soit par la soumission aux exigences de Washington, soit par une v�ritable rupture mettant un terme � l�atlantisme.

La conclusion politique majeure que je tire de cette analyse est que l�Europe ne peut pas sortir de l�atlantisme tant que les alliances politiques qui d�finissent les blocs au pouvoir resteront centr�s sur le capital transnational dominant. C�est seulement si les luttes sociales et politiques parviennent � modifier le contenu de ces blocs et � imposer de nouveaux compromis historiques entre le capital et le travail qu�alors l�Europe pourra prendre quelques distances � l��gard de Washington, permettant le renouveau d�un projet europ�en �ventuel. Dans ces conditions l�Europe pourrait � devrait m�me � �galement s�engager sur le plan international, dans ses relations avec l�Est et le Sud, sur un autre chemin que celui trac� par les exigences exclusives de l�imp�rialisme collectif, amor�ant ainsi sa participation � la longue marche � au del� du capitalisme �. Autrement dit l�Europe sera de gauche (le terme de gauche �tant pris ici au s�rieux) ou ne sera pas.

Concilier le ralliement au lib�ralisme et l�affirmation d�une autonomie politique de l�Europe ou des Etats qui la constituent demeure l�objectif de certaines fractions des classes politiques europ�ennes soucieuses de pr�server les positions exclusives du grand capital. Pourront-elles y parvenir ? J�en doute fort.

En contrepoint les classes populaires en Europe, ici ou l� tout au moins, seront-elles capables de surmonter la crise qui les frappe ? Je le crois possible, pr�cis�ment pour les raisons qui font que la culture politique de certains pays europ�ens au moins, diff�rente de celle des Etats Unis, pourrait produire cette renaissance de la gauche. La condition est �videmment que celle-ci se lib�re du virus du lib�ralisme.

Le � projet europ�en � est n� comme le volet europ�en du projet atlantiste des Etats Unis, con�u au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans l�esprit de la � guerre froide � mise en �uvre par Washington, projet auquel les bourgeoisies europ�ennes � � la fois affaiblies et craintives � l��gard de leurs propres classes ouvri�res � ont adh�r� pratiquement sans conditions.

Cependant le d�ploiement lui m�me de ce projet � fut-il d�origine douteuse � a progressivement modifi� des donn�es importantes du probl�me et des d�fis. L�Europe de l�Ouest est parvenue � � rattraper � son retard �conomique et technologique par rapport aux Etats Unis, ou en a les moyens. Par ailleurs � l�ennemi sovi�tique � n�est plus. D�autre part le d�ploiement du projet a gomm� les adversit�s principales et violentes qui avaient marqu� un si�cle et demi l�histoire europ�enne : les trois pays majeurs du continent � la France, l�Allemagne et la Russie � sont r�concili�s. Toutes ces �volutions sont, � mon avis, positives et riches d�un potentiel encore plus positif. Certes ce d�ploiement s�est inscrit sur des bases �conomiques inspir�es par les principes du lib�ralisme, mais d�un lib�ralisme qui a �t� temp�r� jusqu�aux ann�es 1980 par la dimension sociale prise en compte par et � travers le � compromis historique social d�mocrate � contraignant le capital � s�ajuster � la demande de justice sociale exprim�e par les classes travailleuses. Depuis le d�ploiement se poursuit dans un cadre social nouveau inspir� par le lib�ralisme � � l�am�ricaine �, anti social.

Ce dernier virage a plong� les soci�t�s europ�ennes dans une crise multidimentionnelle. D�abord, il y a la crise �conomique tout court, immanente � l�option lib�rale. Une crise aggrav�e par l�alignement des pays de l�Europe sur les exigences �conomiques du leader nord am�ricain, l�Europe consentant jusqu�ici � financer le d�ficit de ce dernier, au d�triment de ses int�r�ts propres. Ensuite il y a une crise sociale qui s�accentue par la mont�e des r�sistances et des luttes des classes populaires contre les cons�quences fatales de l�option lib�rale. Enfin, il y a l�amorce d�une crise politique � le refus de s�aligner, sans conditions tout au moins, sur l�option des Etats Unis : la guerre sans fin contre le Sud.

Comment les peuples et les Etats europ�ens font-ils et feront-ils face � ce triple d�fi ?

Les europ�anistes de principe se partagent en trois ensembles passablement diff�rents :

- Ceux qui d�fendent l�option lib�rale et acceptent le leadership des Etats Unis, � peu pr�s sans conditions.

- Ceux qui d�fendent l�option lib�rale mais souhaiteraient une Europe politique ind�pendante, sortie de l�alignement am�ricain.

- Ceux qui souhaiteraient (et luttent pour) une � Europe sociale � c�est � dire un capitalisme temp�r� par un nouveau compromis social capital/travail op�rant � l��chelle europ�enne, et simultan�ment une Europe politique pratiquant � d�autres relations � (sous entendu amicales, d�mocratiques et pacifiques) avec le Sud, la Russie et la Chine. L�opinion publique g�n�rale dans toute l�Europe a exprim�, au Forum Social Europ�en (Florence 2002) comme � l�occasion de la guerre d�Irak sa sympathie pour cette position de principe.

Il y a certes, en outre, des � non europ�ens � au sens qu�ils ne pensent pas l�une quelconque des trois options des pro-europ�ens souhaitable, ou m�me possible. Ceux l� sont encore, pour le moment, fortement minoritaires, mais certainement appel�s � se renforcer. Se renforcer d�ailleurs � travers l�une de deux options fondamentalement diff�rentes :

- une option � populiste � de droite, refusant la progression de pouvoirs politiques � et peut �tre �conomiques � supra nationaux, � l�exception �videmment de ceux du capital transnational !

- une option populaire de gauche, nationale, citoyenne, d�mocratique et sociale.

Sur quelles forces s�appuie chacune de ces tendances et quelles sont leurs chances respectives ?

Le capital dominant est lib�ral, par nature. De ce fait il est port�, logique avec lui m�me, � soutenir la premi�re des trois options. Tony Blair repr�sente l�expression la plus coh�rente de ce que j�ai qualifi� � d�imp�rialisme collectif de la triade �. La classe politique ralli�e derri�re la banni�re �toil�e est dispos�e, si n�cessaire, � � sacrifier le projet europ�en � - ou tout au moins � dissiper toute illusion � son sujet � en le maintenant dans le carcan de ses origines : �tre le volet europ�en du projet atlantiste. Mais Bush, comme Hitler, ne con�oit pas d�alli�s autres que des subordonn�s align�s sans conditions. C�est la raison pour laquelle des segments importants de la classe politique, y compris de droite � et bien que ceux-ci soient en principe des d�fenseurs des int�r�ts du capital dominant � refusent de s�aligner sur les Etats Unis comme hier sur Hitler. S�il y a un Churchill possible en Europe ce serait Chirac. Le sera-t-il ?

La strat�gie du capital dominant peut s�accommoder d�un � anti-europ�anisme de droite �, lequel se contentera alors de rh�toriques nationalistes d�magogiques (mobilisant par exemple le th�me des immigr�s � du Sud bien entendu) tandis qu�il se soumettra en fait aux exigences d�un lib�ralisme non sp�cifiquement � europ�en �, mais mondialis�. Aznar et Berlusconi constituent des prototypes de ces alli�s de Washington. Les classes politiques serviles de l�Europe de l�Est �galement.

De ce fait je crois la seconde option difficile � tenir. Elle est cependant celle des gouvernements europ�ens majeurs � la France et l�Allemagne. Exprime-t-elle les ambitions d�un capital suffisamment puissant pour �tre capable de s��manciper de la tutelle des Etats Unis ? Question � laquelle je n�ai pas de r�ponse � . Possible, mais intuitivement je dirais peu probable.

Cette option est n�anmoins celle d�alli�s face � l�adversaire nord am�ricain qui constitue l�ennemi principal de toute l�humanit�. Je dis bien d�alli�s parce que je suis persuad� que, s�ils persistent dans leur option, ils seront amen�s � sortir de la soumission � la logique du projet unilat�ral du capital (le lib�ralisme) et � chercher des alliances � gauche (les seules qui puissent donner force � leur projet d�ind�pendance vis � vis de Washington). L�alliance entre les ensembles deux et trois n�est pas impossible. Tout comme le fut la grande alliance anti-nazie.

Si cette alliance prend forme, alors devra-t-elle et pourra-t-elle op�rer exclusivement dans le cadre europ�en, tous les europ�anistes �tant incapables de renoncer � la priorit� donn�e � ce cadre ? Je ne le crois pas, parce que ce cadre, tel qu�il est et restera, ne favorise syst�matiquement que l�option du premier groupe pro-am�ricain. Faudra-t-il alors faire �clater l�Europe et renoncer d�finitivement � son projet ?

Je ne le crois pas non plus n�cessaire, ni m�me souhaitable. Une autre strat�gie est possible : celle de laisser le projet europ�en � fig� �, pour un temps, � son stade actuel de d�veloppement, et de d�velopper parall�lement d�autres axes d�alliances.

Je donnerais ici une toute premi�re priorit� � la construction d�une alliance politique et strat�gique Paris-Berlin-Moscou- prolong�e jusqu�� P�kin et Delhi si possible. Je dis bien politique ayant l�objectif de redonner au pluralisme international et � l�ONU toutes leurs fonctions. Et strat�gique : construire ensemble des forces militaires � la hauteur du d�fi am�ricain. Ces trois ou quatre puissances en ont tous les moyens, technologiques et financiers, renforc�s par leurs traditions de capacit�s militaires devant lesquelles les Etats Unis font p�le figure. Le d�fi am�ricain et ses ambitions criminelles l�imposent. Mais ces ambitions sont d�mesur�es. Il faut le prouver. Constituer un front anti-h�g�moniste est aujourd�hui, comme hier constituer une alliance anti-nazie, la toute premi�re priorit�.

Cette strat�gie r�concilierait les � pro-europ�ens � des groupes deux et trois et les � non europ�ens � de gauche. Elle cr�erait donc des conditions favorables � la reprise plus tard d�un projet europ�en, int�grant m�me probablement une Grande Bretagne lib�r�e de sa soumission aux Etats Unis et une Europe de l�Est d�barrass� de sa culture servile. Soyons patients, cela prendra beaucoup de temps.

Il n� y aura aucun progr�s possible d� un quelconque projet europ�en tant que la strat�gie des Etats Unis n� aura pas �t� mise en d�route.

  1. L�Europe face � son Sud arabe et m�diterran�en

Le monde arabe et le Moyen Orient occupent une place d�cisive dans le projet h�g�moniste des Etats Unis . La r�ponse que les Europ�ens donneront au d�fi des Etats Unis dans la r�gion devient alors l� un des tests d�cisifs pour le projet europ�en lui m�me.

La question est donc de savoir si les riverains de la M�diterran�e et de ses prolongements - Europ�ens, Arabes, Turcs, Iraniens, pays de la Corne de l'Afrique - s'orienteront ou non vers une repr�sentation de leur s�curit� se diff�renciant de celle command�e par la primaut� de la sauvegarde de l'h�g�monie mondiale am�ricaine. La raison pure devrait faire �voluer dans cette direction. Mais jusqu'� ce jour l'Europe n'a donn� aucune indication allant dans ce sens. Une des raisons qui explique peut �tre, en partie, l'inertie europ�enne, est que les int�r�ts des partenaires de l'Union Europ�enne sont, sinon divergents, tout au moins charg�s d'un coefficient de priorit� relative fort diff�rent d'un pays � l'autre. La fa�ade m�diterran�enne n� est pas centrale dans les polarisations industrielles du capitalisme d�velopp� : les fa�ades de la mer du Nord, du Nord Est atlantique am�ricain et du Japon central sont d'une densit� sans commune mesure. Pour les nordiques de l'Europe - Allemagne et Grande Bretagne - a fortiori pour les Etats Unis et le Japon, le danger de chaos dans les pays situ�s au Sud de la M�diterran�e n'a pas la gravit� qu'il devrait avoir pour les Italiens, les Espagnols et les Fran�ais.

Les diff�rentes puissances europ�ennes avaient eu jusqu'en 1945 des politiques m�diterran�ennes propres � chacune d'elles, le plus souvent conflictuelles d'ailleurs. Apr�s la seconde guerre mondiale les Etats de l'Europe occidentale n'ont pratiquement plus de politique m�diterran�enne et arabe, ni particuli�re � chacun d'eux, ni commune, autre que celle que l'alignement sur les Etats Unis implique. Il reste que, m�me dans ce cadre, la Grande Bretagne et la France, qui avaient des positions coloniales dans la r�gion, ont men� des batailles d'arri�re garde pour conserver leur avantage. La Grande Bretagne y a renonc� en ce qui concerne l'Egypte et le Soudan d�s 1954 et, apr�s la faillite de l'aventure de l'agression tripartite de 1956, a proc�d� � un revirement d�chirant, et finalement abandonn� m�me, � la fin des ann�es 1960, son influence particuli�re dans les pays riverains du Golfe. La France, �limin� d�s 1945 de la Syrie, a finalement accept� l'ind�pendance de l'Alg�rie en 1962, mais a conserv� une certaine nostalgie de son influence au Maghreb et au Liban, encourag�e d'ailleurs par les classes dirigeantes locales, au moins au Maroc, en Tunisie et au Liban. Parall�lement la construction europ�enne n'a pas substitu� au retrait des puissances coloniales une politique commune op�rant dans ce domaine. On se souvient que lorsque, � la suite de la guerre isra�lo-arabe de 1973, les prix du p�trole ont �t� r�ajust�s, l'Europe communautaire, surprise dans son sommeil, a red�couvert alors qu'elle avait des � int�r�ts � dans la r�gion. Mais ce r�veil n'a pas suscit� de sa part une initiative importante quelconque, par exemple concernant le probl�me palestinien. L'Europe est rest�e, dans ce domaine comme dans bien d'autres, vell�itaire et finalement inconsistante. Quelques progr�s dans la direction d'une autonomie vis � vis des Etats Unis ont n�anmoins �t� enregistr�s au cours des ann�es 1970, culminant au sommet de Venise (1980) ; mais ces progr�s n'ont pas �t� consolid�s et se sont plut�t �rod�s avec le temps au cours des ann�es 1980 pour finalement dispara�tre avec l'alignement sur Washington adopt� dans la crise du Golfe. Aussi les perceptions europ�ennes concernant l'avenir des relations Europe-monde arabe et iranien doivent-elles �tre �tudi�es � partir d'analyses propres � chacun des Etats europ�ens.

La Grande Bretagne n'a plus de politique m�diterran�enne et arabe qui lui soit sp�cifique. Dans ce domaine comme ailleurs la soci�t� britannique dans toutes ses expressions politiques (des Conservateurs et des Travaillistes) a fait l'option d'un alignement inconditionnel sur les Etats Unis. Il s'agit l� d'un choix historique fondamental qui d�passe de loin les circonstances conjoncturelles. renforce consid�rablement la soumission de l'Europe aux exigences de la strat�gie am�ricaine.

Pour des raisons diff�rentes l'Allemagne n'a pas davantage de politique arabe et m�diterran�enne sp�cifique et ne cherchera probablement pas � en d�velopper dans l'avenir visible. Handicap�e par sa division et son statut, la R.F.A. avait consacr� tous ses efforts � son d�veloppement �conomique, acceptant de tenir un profil politique bas dans le sillage simultan� et ambigu des Etats Unis et de � l'europ�anit� � de la C.E.E. Dans un premier temps la r�unification de l'Allemagne et sa reconqu�te d'une pleine souverainet� internationale n�ont pas modifi� ce comportement mais au contraire en ont accentue� les expressions. La raison en est que les forces politiques dominantes (conservatrices, lib�rales et social d�mocrates) avaient choisi de donner la priorit� � l'expansion du capitalisme germanique en Europe centrale et orientale, r�duisant d'autant l'importance relative d'une strat�gie europ�enne commune, tant au plan politique qu'� celui de l'int�gration �conomique. Il reste � savoir si cette tendance est d�sormais invers�e, comme l� attitude de Berlin dans la guerre d� Irak semble le sugg�rer.

Les positions de la France sont plus nuanc�es. Pays � la fois atlantique et m�diterran�en, h�ritier d'un Empire colonial, class� parmi les vainqueurs de la seconde guerre mondiale, la France n'a pas renonc� � s'exprimer comme une Puissance .Au cours de la premi�re d�cennie de l'apr�s guerre les gouvernements fran�ais successifs avaient tent� de pr�server les positions coloniales de leur pays par le moyen d'une surench�re atlantiste anticommuniste et antisovi�tique. Le soutien de Washington ne leur fut pas pour autant sinc�rement acquis, comme l'a d�montr� l'attitude des Etats Unis lors de l'agression tripartite contre l'Egypte en 1956. La politique m�diterran�enne et arabe de la France �tait alors, par la force des choses, simplement r�trograde. De Gaulle avait rompu avec ces illusions simultan�ment pal�ocoloniales et proam�ricaines. Il avait con�u alors le triple projet ambitieux de moderniser l'�conomie fran�aise, de conduire un processus de d�colonisation permettant de substituer un n�o-colonialisme souple aux formules anciennes d�sormais d�pass�es et de compenser les faiblesses intrins�ques � tout pays moyen comme la France par l'int�gration europ�enne. Dans cette derni�re perspective de Gaulle concevait une Europe capable de s'autonomiser vis � vis des Etats Unis non seulement au plan �conomique et financier, mais �galement politique et m�me, � terme, militaire, tout comme il concevait, � terme �galement, l'association de l'URSS � la construction europ�enne (�l'Europe de l'Atlantique � l'Oural�). Mais le gaullisme n'a pas surv�cu � son fondateur et, � partir de 1968, les forces politiques fran�aises tant de la droite classique que de la gauche socialiste sont progressivement revenues aux attitudes ant�rieures. Leur vision de la construction europ�enne s'est r�tr�cie � la dimension du � march� commun �, au face � face France-Allemagne f�d�rale (au point que lorsque l'unification allemande s'est r�alis�e on en a �t� quelque peu surpris et inquiet � Paris...) et � l'invitation pressante faite � la Grande Bretagne de se joindre � la C.E.E.(oubliant que l'Angleterre serait le cheval de Troie des Am�ricains en Europe). Naturellement ce glissement impliquait l'abandon de toute politique arabe digne de ce nom propre � la France, c'est � dire de toute politique allant au del� de la simple d�fense d'int�r�ts mercantiles imm�diats. Au plan politique la France s�est comport�e objectivement dans le monde arabe comme en Afrique subsaharienne en force d'appoint compl�mentaire de la strat�gie d'h�g�monie am�ricaine. C'est dans ce cadre qu'il faut replacer le discours m�diterran�en, qui appelle � associer les pays du Maghreb au char europ�en (� la mani�re dont �tait associ�e la Turquie aujourd'hui en crise), ce qui revient � casser la perspective d'un rapprochement unitaire arabe, abandonnant le Mashrek � l'intervention isra�lo-am�ricaine. Sans doute les classes dirigeantes maghr�bines sont-elles responsables des sympathies qu'elles ont affich� pour ce projet. Il n'en demeure pas moins que la crise du Golfe a port� un coup s�rieux au projet, les masses populaires d'Afrique du Nord ayant affirm� avec force � cette occasion leur solidarit� avec le Mashrek, comme cela �tait pr�visible.

L'Italie est, par sa position g�ographique m�me, forc�ment sensible aux probl�mes m�diterran�ens. Cela ne signifie pas qu'elle ait - de ce fait - une politique m�diterran�enne et arabe r�elle et, encore moins, efficace ou autonome. Longtemps marginalis�e dans le d�veloppement capitaliste, l'Italie a �t� contrainte d'inscrire ses ambitions m�diterran�ennes dans le sillage d'une alliance oblig�e avec d'autres puissances europ�ennes, plus d�cisives. De l'accomplissement de son unit� au milieu du si�cle dernier � la chute de Mussolini en 1943 elle a toujours h�sit� entre l'alliance avec les ma�tres de la M�diterran�e - c'est � dire la Grande Bretagne et la France - ou avec ceux qui pouvaient contester les positions anglo-fran�aises, c'est � dire l'Allemagne.

.L'atlantisme, qui s'exerce en Italie dans une vision qui implique un profil politique ext�rieur bas dans le sillage des Etats Unis, a domin� l'action et les options des gouvernements italiens depuis 1947. Il est �galement dominant, dans une vision plus id�ologis�e encore, dans certains secteurs de la bourgeoisie la�que (les R�publicains et les Lib�raux, certains socialistes). Car chez les chr�tiens d�mocrates il est temp�r� par la pression de l'universalisme de la tradition catholique. Il est caract�ristique que la papaut� a souvent pris de ce fait, des positions vis � vis des peuples arabes (notamment dans la question palestinienne) et de ceux du tiers monde moins r�trogrades que celles de nombreux gouvernements italiens et occidentaux en g�n�ral. Le glissement � gauche d'une partie de l'Eglise catholique, sous l'influence de la th�ologie de la lib�ration d'Am�rique latine, renforce aujourd'hui cet universalisme dont on retrouve des versions la�ques dans les mouvements pacifistes, �cologistes et tiers mondistes. Le courant mittel europ�aniste plonge ses racines dans le XIXe si�cle italien et la coupure Nord-Sud que l'unit� italienne n'a pas surmont�e. Accroch� aux int�r�ts du grand capital milanais, il sugg�re de donner la priorit� � l'expansion �conomique de l'Italie vers l'Est europ�en, en association �troite avec l'Allemagne. Dans ce cadre, la Croatie constitue aujourd'hui un objectif imm�diat au point que certains analystes rep�rent ici des vis�es expansionnistes italiennes en direction de la Dalmatie. Bien entendu cette option impliquerait que l'Italie poursuive la tradition de son profil international bas, et notamment marginalise ses rapports avec les riverains du sud de la M�diterran�e. Une option parall�le de l'Espagne isolerait encore davantage la France dans le concert europ�en dont il r�duirait la port�e � son plus bas d�nominateur commun. Le courant m�diterran�en qui est toujours faible, en d�pit de l'apport que l'universalisme pourrait lui apporter, s'est exprim�, pour cette raison, dans une version � levantine � : il s'agit de � faire des affaires � ici ou l� sans se pr�occuper du cadre de strat�gie politique dans lequel elles s'inscrivent. Pour prendre une autre consistance, plus noble, associant l'Italie � des ouvertures �conomiques s'inscrivant dans une perspective de renforcement de son autonomie et de celle de ses partenaire arabes, il serait n�cessaire qu'une convergence se fasse entre ce projet et les id�aux universalistes, notamment d'une partie de la gauche italienne, communiste et chr�tienne.

La droite italienne , r�unifi�e sous la direction de Berlusconi au pouvoir , a fait l� option de s� inscrire dans le sillage de l� axe atlantique Washington � Londres . Le comportement des forces de police lors du G8 de G�nes ( juillet 2001 ) exprime ce choix on ne peut plus clairement.

L'Espagne et le Portugal occupent une place importante dans la g�ostrat�gie d'h�g�monie mondiale des Etats Unis. Le Pentagone consid�re en effet que l'axe A�ores-Canaries- Gibraltar-Bal�ares est essentiel pour la surveillance de l'Atlantique nord et sud et le verrouillage de l'entr�e en M�diterran�e. Les Etats Unis avaient donc forg� leur alliance avec ces deux pays au lendemain m�me de la seconde guerre mondiale, sans �prouver la moindre g�ne du fait de leur caract�re fasciste. Au contraire m�me l'anticommunisme forcen� des dictatures de Salazar et de Franco servait bien la cause h�g�moniste des Etats Unis permettant de faire admettre le Portugal dans l'OTAN et d'�tablir sur le sol espagnol des bases am�ricaines de premi�re importance. En contre partie les Etats Unis et leurs alli�s europ�ens ont soutenu sans r�serve le Portugal jusqu'au terme de sa d�faite dans sa guerre coloniale.

L'�volution d�mocratique de l'Espagne apr�s la mort de Franco n'a pas �t� l'occasion d'une remise en question de l'int�gration du pays dans le syst�me militaire am�ricain. Au contraire m�me l'adh�sion formelle de l'Espagne � l'OTAN (en Mai 1982) avait fait l'objet d'un v�ritable chantage �lectoral laissant entendre que la participation � la C.E.E. exigeait cette adh�sion, que la majorit� de l'opinion ne souhaitait pas.

Depuis, l'alignement de Madrid sur les positions de Washington est sans r�serve. En contrepartie les Etats Unis seraient, para�t-il, intervenus pour � mod�rer � les revendications marocaines sur Ceuta et Mellila et m�me pour tenter de convaincre la Grande Bretagne sur le sujet de Gibraltar. Sur ce dernier plan on peut douter de la r�alit� m�me de cette intervention. Toujours est-il que l'alignement atlantiste renforc� de Madrid s'est traduit par des changements radicaux dans l'organisation des forces arm�es espagnoles, qualifi�es par les analystes de celle-ci de � basculement vers le Sud �. Dans la tradition espagnole en effet, l'arm�e �tait diss�min�e sur tout le territoire du pays. Con�ue d'ailleurs - depuis Franco d'une mani�re �vidente - plus comme une force de police int�rieure que comme une force de frappe dirig�e contre l'ext�rieur, l'arm�e espagnole �tait demeur�e rustique et, en d�pit de l'attention marqu�e port�e par le pouvoir supr�me � Madrid au corps des g�n�raux et officiers, n'avait pas �t� l'objet d'une modernisation v�ritable, � l'instar des arm�es de la France, de la Grande Bretagne et de l'Allemagne.

Les gouvernements socialistes puis de droite ont donc proc�d� � un red�ploiement des forces espagnoles pour faire face � un � front sud � �ventuel, comme ils se sont engag�s dans un programme de modernisation de l'arm�e de terre, de l'aviation et de la marine. Ce basculement, requis par Washington et l'OTAN, est l'une des nombreuses manifestations de la nouvelle strat�gie h�g�moniste am�ricaine substituant le Sud � l'Est dans la � d�fense � de l'Occident. Il est accompagn�, en Espagne, d'un discours nouveau qui met en avant un �ennemi hypoth�tique venant du Sud�, dont l'identification ne laisse planer aucun doute. Curieusement, ce discours des milieux d�mocratiques (et socialistes) espagnols puise � la vieille tradition de la Reconquista, populaire dans les cercles catholiques de l'arm�e. Le basculement des forces arm�es espagnoles est donc le signe d'une d�termination de l'Espagne � jouer un r�le actif au sein de l'OTAN, dans le cadre de la r�orientation des strat�gies occidentales en pr�vision d'interventions muscl�es dans le tiers monde. D�j� d'ailleurs la p�ninsule ib�rique constitue le premier relais de l'axe Washington-Tel Aviv, la t�te de pont europ�enne principale de la Rapid Deployment Force am�ricaine (qui a jou� un r�le d�cisif dans la guerre du Golfe), compl�t� par les bases de Sicile (qui, elles �galement, n'ont jamais servi jusqu'ici qu'� des op�rations dirig�es contre le monde arabe : Lybie, bombardement isra�lien de la Tunisie...) et, curieusement, par les facilit�s accord�es par le Maroc. Bien entendu cette option occidentale vide le discours � euro-arabe � de tout contenu s�rieux. La nouvelle Espagne d�mocratique, qui pr�tend activer une politique d'amiti� en direction de l'Am�rique latine et du monde arabe, a plut�t amorc� son mouvement dans un sens en fait inverse aux exigences de ses proclamations de principe.

Le gouvernement de droite dirig� par Aznar a confirm� cet alignement atlantiste de Madrid . Plus encore que l'Italie, l� Espagne se refuse � capitaliser sa position m�diterran�enne au b�n�fice d'une nouvelle politique europ�enne en direction du monde arabe, de l'Afrique et du tiers monde, prenant des distances � l'�gard des exigences de l'h�g�monisme am�ricain. L'id�e fran�aise d'un groupe m�diterran�en au sein de l'Union Europ�enne reste, de ce fait, suspendue en l'air, sans point d'appui s�rieux. D'ailleurs au plan �conomique le capital espagnol, h�ritier ici de la tradition franquiste, a plac� ses espoirs principaux d'expansion dans le d�veloppement d'accords avec l'Allemagne et le Japon, invit�s � participer � la modernisation de la Catalogne.

Tant qu'elle a exist�, la ligne de confrontation Est-Ouest passait par le travers des Balkans. Le ralliement oblig� des Etats de r�gion soit � Moscou, soit � Washington - la seule exception avait �t� celle de la Yougoslavie depuis 1948 puis de l'Albanie � partir de 1960 - avait alors mis une sourdine aux querelles nationalistes locales qui avaient fait des Balkans une poudri�re europ�enne.

La Turquie s'�tait plac�e d'elle m�me dans le camp de l'occident d�s 1945, apr�s avoir h�tivement mis un terme � sa neutralit� plut�t bienveillante � l'�gard de l'Allemagne hitl�rienne. Les revendications sovi�tiques sur Kars et Ardahan au Caucase et concernant le droit de passage dans les D�troits, formul�es par Staline au lendemain m�me de la victoire, n'ont �t� repouss�es par Ankara que gr�ce au soutien d�cid� de Washington. En contrepartie la Turquie, membre de l'OTAN, elle aussi en d�pit de son syst�me politique peu d�mocratique, a accueilli les bases am�ricaines les plus proches de l'URSS . Il n� en demeure pas moins que la soci�t� turque reste une soci�t� du tiers monde, m�me si, depuis Ataturk, les classes dirigeantes de ce pays proclament l'europ�anit� de la Turquie nouvelle, frappant � la porte de l'Union Europ�enne qui ne veut pas d'elle. Alli�e fid�le des Etats Unis et de leurs partenaires europ�ens , la Turquie souhaite-t-elle r�int�grer son pass� et jouer un r�le actif au Moyen orient, faisant payer � l'Occident les services qu'elle pourrait leur rendre dans cette r�gion ? Le handicap de sa question kurde, dont elle refuse de reconna�tre l'existence m�me, l'a fait h�siter � faire cette option jusqu'� pr�sent, semble-t-il. Il en est de m�me d'une option �ventuelle pan-touranienne, sugg�r�e au lendemain m�me de la premi�re guerre mondiale dans certains milieux k�malistes, rel�gu�e par la suite au mus�e de l'histoire des origines. Mais aujourd'hui la d�composition de l'ex URSS pourrait constituer une invitation pour le pouvoir d'Ankara � prendre la direction d'un bloc turcophone qui, de l'Azerba�djan au Sinkiang, domine l'Asie centrale. L'Iran a toujours exprim� sa crainte r�elle d'une �volution de ce type, qui non seulement remettrait en question le statut de l'Azerba�djan m�ridional iranien mais encore la s�curit� de sa longue fronti�re asiatique septentrionale avec le Turkmenistan et l'Ouzb�kistan.

La Gr�ce ne s'�tait pas rang�e d'elle m�me dans le camp antisovi�tique. Elle y a �t� contrainte et forc�e par l'intervention britannique relay�e d�s 1948 par les Etats Unis. En conformit� avec les accords de Yalta l'URSS avait alors, comme on le sait, abandonn� � son sort la r�sistance grecque, dirig�e par le Parti Communiste qui pourtant, dans ce pays comme en Yougoslavie et en Albanie, avait lib�r� le pays et conquis de ce fait un soutien populaire largement majoritaire. Aussi les Occidentaux ont-ils �t� amen�s � soutenir contre ce mouvement populaire des r�gimes r�pressifs successifs et finalement une dictature de colonels fascistes, sans non plus y voir une contradiction majeure avec leur discours selon lequel l'OTAN prot�geait le " monde libre " contre le satan " totalitaire ". Le retour de la Gr�ce � la d�mocratie, par la victoire �lectorale du Pasok en 1981 risquait - dans ces conditions � de remettre en question la fid�lit� de ce pays � l'OTAN. L'Europe communautaire est alors venue au secours de Washington en difficult� pour - ici �galement comme en Espagne - lier de fait la candidature grecque � la C.E.E. au maintien de sa participation dans l'alliance atlantique. Cette int�gration dans la C.E.E. �tait d'ailleurs elle m�me encore fort discut�e dans l'opinion grecque de l'�poque. Le choix de Papandr�ou de s 'y rallier malgr� tout, apr�s quelques h�sitations et en d�pit de l'option de principe tiers mondiste et neutraliste du Pasok, semble avoir mis en marche une �volution irr�versible au niveau m�me des mentalit�s, en flattant les aspirations du peuple grec � la modernit� et � l'europ�anit�. Pourtant les nouveaux partenaires europ�ens de la Gr�ce n'ont pas grande chose � offrir � ce pays appel� � demeurer longtemps le parent pauvre de la construction communautaire.

La fid�lit� d'Ath�nes � l'Occident euro-am�ricain ne lui a pas m�me valu un soutien r�el dans son conflit avec la Turquie. Il reste que, m�me si la dictature grecque porte une responsabilit� certaine dans la trag�die chypriote de 1974, l'agression turque ouverte (l'op�ration Attila) et la cr�ation subs�quente d'une " r�publique turque de Chypre ", en violation du statut de l'�le, ont �t� non seulement accept�s, mais probablement mis au point en accord avec les services du Pentagone devant lesquels l'Europe a c�d� une fois de plus. Il est �vident que, pour les Etats Unis, l'amiti� de la Turquie, puissance militaire r�gionale consid�rable, passe avant celle de la Gr�ce, m�me d�sormais d�mocratique.

L'ensemble de la r�gion balkanique-danubienne (Yougoslavie, Albanie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie) �tait entr�e en 1945 dans le giron de Moscou, soit par le fait de l'occupation militaire sovi�tique et l'acquiescement des partenaires de Yalta, soit par le fait de leur propre lib�ration et de l'option de leurs peuples en Yougoslavie et en Albanie.

La Yougoslavie titiste isol�e dans les ann�es 1948-1953 � la fois par l'ostracisme de Moscou et l'anticommunisme occidental, avait poursuivi avec succ�s une strat�gie de construction d'un front des " non align�s " qui lui a valu l'amiti� du tiers monde, particuli�rement � partir de la conf�rence de Bandoung (1955). Les analystes de la pens�e g�ostrat�gique yougoslave de l'�poque signalent n�anmoins ce fait - d'apparence curieuse - que cette pens�e �tait peu sensible � la dimension m�diterran�enne de leur pays. Peut �tre l'abandon par l'Italie apr�s la seconde guerre mondiale de ses vis�es traditionnelles sur la Dalmatie (et l'Albanie) et la solution trouv�e d�s 1954 au probl�me �pineux de Trieste sont-ils � l'origine de cet " oubli historique ". La Yougoslavie s'�tait v�cue depuis lors en Etat pr�occup� avant tout par les probl�mes de l'�quilibre de ses rapports r�gionaux danubo-balkaniques et surtout par ceux de l'�quilibre mondial des superpuissances. Car sur le premier plan elle �tait parvenue � capitaliser � son b�n�fice la double attraction nordiste et danubienne de la Croatie-Slov�nie et celle russe et balkanique de la Serbie. Le rapprochement amorc� par Kroutchev et poursuivi par ses successeurs, reconnaissant le r�le positif du neutralisme titiste dans l'ar�ne mondiale, comme l'assouplissement des r�gimes du pacte de Varsovie � partir des ann�es 1960 et surtout 1970, avaient alors garanti, un temps, la s�curit� yougoslave qui avait cess� de se sentir l'objet d'un conflit r�gional quelconque. La diplomatie yougoslave avait pu alors se d�ployer dans les ar�nes internationales, en donnant � ce pays un poids hors de proportion avec sa taille. Mais si cette diplomatie avait incontestablement marqu� des points en Asie, en Afrique et m�me en Am�rique latine, elle a pi�tin� en Europe o� ses appels � �largir le front des neutralistes n'a jamais trouv� d'�cho favorable. Pourtant, face � l'Europe de l'OTAN, du nord au sud du continent, entre les deux pactes militaires adverses, la Su�de, la Finlande et l'Autriche auraient pu envisager des initiatives positives communes s'�cartant de l'esprit de la guerre froide. Plus tard la Gr�ce du Pasok a tent� d'�largir ce camp neutraliste europ�en en �bauchant en 1982 une proposition de coop�ration en vue de la d�nucl�anisation des Balkans, s'adressant simultan�ment � certains pays membres de l'une ou de l'autre des deux alliances (Turquie, Roumanie et Bulgarie) ou aux neutres (Yougoslavie et Albanie). Ces propositions n'ont pas trouv� d'�cho.

La d�composition de l'Europe sud orientale � partir de 1989 a boulevers� les donn�es du probl�me. L'�rosion, puis l'effondrement de la l�gitimit� des r�gimes - qui �tait fond�e sur un certain d�veloppement, quelqu'en aient �t� les limites et les aspects n�gatifs - a fait �clater l'unit� de la classe dirigeante dont les fractions, aux abois, tentent de refonder leur l�gitimit� sur le nationalisme. Les conditions �taient r�unies non seulement pour permettre l'offensive du capitalisme sauvage soutenue par les Etats Unis et l'Union Europ�enne, mais encore pour que l'Allemagne reprenne l'initiative dans la r�gion, jetant de l'huile sur le feu - par la reconnaissance h�tive de l'ind�pendance de la Slov�nie et de la Croatie, que l'Union Europ�enne a ent�rin� - acc�l�rant par la m�me l'�clatement de la Yougoslavie et la guerre civile. Curieusement les Europ�ens tentent d'imposer en Bosnie la coexistence des communaut�s dont ils ont pr�n� ailleurs la s�paration ! Car s'il est possible aux Serbes, Croates et Musulmans de coexister dans cette petite Yougoslavie qu'est la Bosnie, pourquoi ne pourraient-ils pas coexister dans la grande Yougoslavie ? Evidemment une strat�gie de ce genre n'avait gu�re de chances de succ�s, ce qui a permis aux Etats Unis d'intervenir � leur tour, au coeur de l'Europe !Dans la strat�gie de Washington l� axe Balkans � Caucase � Asie centrale prolonge en effet le Moyen orient .

Des analyses propos�es ci-dessus concernant les options politico-strat�giques des pays de la rive nord de la M�diterran�e je tirerai une conclusion majeure : la plupart de ces pays hier partenaires fid�les des Etats Unis dans le conflit Est-Ouest, restent aujourd'hui align�s sur la strat�gie de l'h�g�monie am�ricaine � l'�gard du tiers monde, et singuli�rement des pays arabes et des autres pays de la r�gion Mer Rouge-Golfe ; les autres (pays balkaniques et danubiens), hier impliqu�s d'une mani�re ou de l'autre dans le conflit Est-Ouest, ont cess� d'�tre des agents actifs dans le conflit Nord-Sud permanent, et sont devenus des objets passifs de l'expansionnisme occidental.

En conclusion :l� Empire du chaos et la guerre permanente

Le projet de domination des Etats Unis � l� extension de la doctrine Monroe � la plan�te enti�re � est d�mesur�. Ce projet , que j� ai qualifi� pour cette raison d� Empire du chaos d�s l� effondrement de l� Union sovi�tique en 1991, sera fatalement confront� � la mont�e des r�sistances grandissantes des nations de l� ancien monde qui n� accepteront pas de s� y soumettre. Les Etats Unis seront alors appel�s � se comporter comme l� � Etat voyou � par excellence, substituant au droit international le recours � la guerre permanente ( amorc�e au Moyen orient , mais qui vise , au del� , la Russie et l� Asie ),glissant sur la pente fasciste ( la �  loi patriotique � a d�j� donn� � leur police vis � vis des �trangers � les � aliens � - des pouvoirs similaires � ceux dont la Gestapo avait �t� dot�e ).

Les Etats europ�ens , partenaires dans le syst�me de l� imp�rialisme collectif de la triade , accepteront-ils cette d�rive qui les placeraient en position subalterne ? La th�se que j� ai d�velopp�e sur cette question place l� accent non pas sur les conflits d� int�rets du capital dominant , mais sur la diff�rence qui s�pare les cultures politiques de l� Europe de celle qui caract�rise la formation historique des Etats Unis et voit dans cette contradiction nouvelle l� une des raisons majeures de l� �chec probable du projet des Etats Unis ( 16).


Notes

  1. voir :
  2. Samir Amin, Classe et nation dans l�histoire et la crise contemporaine , chap VI et VIII , Minuit 1979

    Samir Amin , L� eurocentrisme , chap IV , Anthropos economica , 1988

    Samir Amin , Au del� du capitalisme s�nile , pour un XXI i�me si�cle non am�ricain , PUF 2001

  3. pour la critique du post modernisme et la th�se de Negri , voir :
  4. Samir Amin , Critique de l� air du temps ,chap VI , Harmattan 1997

    Samir Amin , Le virus lib�ral , pp20 et suiv , Le temps des cerises , 2003

  5. Samir Amin , L�h�g�monisme des Etats Unis et l�effacement du projet europ�en , Harmattan , 2000
  6. Samir Amin et all , Les enjeux strat�giques en M�diterran�e , premi�re partie , Harmattan 1992
  7. Comme par exemple :
  8. G�rard Chaliand et Arnaud Blin , America is back , Bayard 2003

  9. Samir Amin , La faillite du d�veloppement , chap II , Harmattan 1989
  10. Samir Amin , Les d�fis de la mondialisation , chap VII, Harmattan 1996
  11. Salir Amin , L �ethnie � l�assaut des nations , Harmattan 1994
  12. Emmanuel Todd , Apr�s l� empire , Gallimard 2002
  13. The national security strategy of the United States 2002
  14. Cf note 2
  15. Samir Amin , Les d�fis de la mondialisation , op cit , chapIII
  16. Samir Amin , L� empire du chaos , Harmattan 1991
  17. Samir Amin , Les d�fis de la mondialisation , op cit , chapI et II
  18. Samir Amin et Ali El Kenz , Le monde arabe , enjeux sociaux , perspectives m�dit�rran�ennes , Harmattan 2003
  19. Samir Amin , Le virus lib�ral , op cit , pp 20 et suiv

Samir Amin , L�id�ologie am�ricaine , publi� en anglais ,in Ahram Weekly , mai 2003 , Le Caire

 


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