Centre de recherche sur la mondialisation

 

Selon les nouvelles lois européennes, nous sommes tous des terroristes

par Nils Anderson

CICG - Comité d'Intervention contre la Guerre  le  9 décembre  2001
Centre de recherche sur la mondialisaiton (CRM), globalresearch.ca  le 5 janvier 2002

 


Il y a douze ans, l’avènement du " nouvel ordre mondial" a signifié un retour à la politique de la canonnière (Irak et Balkans) et à l’établissement de protectorats (Bosnie-Herzégovine, Kosovo). Les guerres d’Afghanistan et du Proche-Orient, deux conflits étroitement liés, s’inscrivent dans cette même logique et annoncent de nouvelles interventions contre l’Irak et des actions de commandos au Yémen, en Somalie et même en Égypte et au Soudan.

Bien que soumis à un intense matraquage propagandiste ayant pour but de les tétaniser, les peuples comprennent (et cela bien mieux que ne le font entendre les médias) que vouloir régir le monde par la force des armes pour la défense d’intérêts hégémoniques, économiques et territoriaux qui ne sont pas les leurs est une voie dangereuse et incontrôlable.

D’où la crainte que le refus de cette logique de guerre, conduite sous la seule autorité des Etats-Unis confinant leurs serviles alliés dans des rôles de potiches, et, selon les besoins, sortant de leur chapeau ou jetant à la poubelle l’ONU et l’OTAN, devienne une force contestataire. D’où le recours à la référence " terroriste " pour criminaliser l’action des mouvements et organisations politiques, syndicaux, anti-mondialistes et associatifs, avec la mise en place de dispositifs répressifs nationaux portant atteinte à la liberté d’opinion, d’association, au droit à l’information, aux règles de détention et limitant les libertés civiles.

De même au niveau européen, dans les jours qui ont suivi le 11 septembre l’Union européenne a sorti de ses tiroirs deux "décisions-cadres ", décisions concoctées depuis longtemps, sinon comment auraient-elles pu être rédigées dans un délai de 48 jours ? La première, relative à " la lutte contre le terrorisme " ayant été livrée le 15 octobre et la seconde, relative " au mandat d’arrêt européen ", le 29 octobre ! Hors le contexte de " la lutte contre le terrorisme" il eût été impossible de présenter et de faire adopter dans l’urgence ces lois applicables obligatoirement dans tous les pays de l’Union.

La décision-cadre relative à " la lutte contre le terrorisme " a pour fondement le Terrorism Act anglais qui le définit comme une action ou une menace d’action qui " vise à influencer le gouvernement ou à intimider tout ou partie du public " et " l ‘action ou la menace d’action qui a pour objectif de promouvoir une cause politique, religieuse et idéologique ". Une telle définition, on le comprend aisément est extensible à toute action politique ou revendicative.

Concrètement cette décision-cadre prescrit une peine de deux ans de prison pour, sans autre précision : " chantage ". Ainsi, les ouvrières et ouvriers de Moulinex, qui ont annoncé vouloir détruire leur usine s’ils n’étaient pas entendus, pourront être accusé de " terrorisme " et tomber sous le coup de cette loi.

Une peine de cinq ans de prison est prescrite pour " la prise de contrôle illicite, mettant en danger les personnes, de moyens de transport publics" ou " de lieux publics ou privés par le biais d’actes dangereux". En conséquence, des ouvriers en grève ou des manifestants qui bloquent un train ou une ligne de métro, des sans-logis qui squattent un bâtiment deviennent des " terroristes ".

Une peine de dix ans de prison est prescrite en cas de " mise en danger de l’ environnement ". Au sens de cette loi, qui sera jugé comme " terroristes ", les sociétés pétrolières polluant les mers et les côtes ou les militants s’opposant aux expérimentations d’organismes génétiquement modifiés ? Poser la question c’est y répondre.

Une peine de dix ans de prison est prescrite pour " la perturbation ou l’interruption de l’approvisionnement en eau, en électricité ou toute autre ressource fondamentale ". De ce fait une coupure de courant ou le blocage d’une raffinerie de pétrole lors de grèves deviennent des actes " terroristes ".

Une peine de sept ans de prison est prescrite pour " l’encouragement ou le soutien d’un groupe terroriste ". C’est dire que Gestoras Pro Amnistia, l’ONG qui défend les prisonniers basques, Batasuna, le parti indépendantiste basque, ou les mouvements en Europe solidaires avec la lutte du peuple palestinien, pourront être considérés comme des soutiens au " terrorisme ".

Plus encore, une peine de deux ans de prison est requise pour " vol simple ou qualifié ". Comment, pour s’en tenir à la définition dans la loi européenne d’un acte terroriste, un vol simple pourrait " menacer et porter gravement atteinte aux structures politiques, économiques et sociales d’un pays " ?

Ceci montre clairement qu’il s’agit de mesures visant toute opposition politique, syndicale, associative, citoyenne car, selon cette loi liberticide, " une association structurée de plus de deux personnes agissant de façon concertée " peut être assimilée à un groupe terroriste ! Ainsi comme l’écrit Antoine Comte : " vingt années avaient suffi pour que les instances européennes passent d’une conception libérale à une conception autoritaire en matière pénale. Aujourd’hui, on atteint des techniques répressives que les systèmes totalitaires n’auraient pas désavoués." (1)

La seconde décision-cadre présentée par la Commission européenne introduit " le mandat d’arrêt européen " qui supprime les procédures d’extradition et autorise la remise d’un ressortissant national à un tribunal d’un autre pays européen. Ce dispositif n’est pas réservé au terrorisme puisque son principe avait été accepté il y a deux ans par les chefs de gouvernement européens, mais son processus d’adoption a été fortement accéléré après le 11 septembre.

Ainsi un Français manifestant en Italie, en Suède ou en Belgique (et inversement), soupçonné de violence, pourra être arrêté et extradé vers ces pays pour y être jugé en supprimant " les libertés individuelles que sont en matière d’extradition la procédure contradictoire, l’audience collégial et les voies de recours. " (2) Cette loi, dans sa formulation initiale, donnait le droit à la police d’extrader toute personne jugée et condamnée dans un autre État européen à quatre mois de prison ou plus, ou toute personne non jugée, mais encourant une peine d’un an de prison ou plus. Les conciliabules entre pays européens tendent vers des compromis qui relèveraient le seuil d’application aux infractions punies d’au moins 3 ans d’emprisonnement et, extrême bienveillance, des garanties seraient accordées préservant le droit de manifester.

Mais, s’il était nécessaire de préciser ceux qui sont visés et ceux qui ne le sont pas par ces mesures, l’opposition de l’Italie de Berlusconi à ce que l’escroquerie et la fraude tombe sous le coup du mandat d’arrêt européen est là pour nous éclairer. A la veille du sommet de Laeken qui doit adopter les deux décisions-cadres, Silvio Berlusconi a donné son accord au " mandat d’arrêt européen ", sous condition de son approbation par le parlement italien. Sinon l’Italie se tiendra en dehors de l’espace judiciaire européen comme l’Angleterre qui reste en dehors de l’espace monétaire.

Autre atteinte aux droits acquis, ce ne sont pas selon les peines prescrites dans son pays que " le mandat d’arrêt européen " sera appliqué à l’encontre du prévenu, mais selon la loi du pays demandeur. Ainsi, des avancées juridiques et des garanties démocratiques, obtenues souvent au terme de longues luttes par des citoyens d’un pays, se voient de facto abrogées. Nous avons là une parfaite démonstration que, comme l’Europe sociale est soumise aux règles de l’Europe financière et économique, l’Europe du droit est soumise aux normes de l’Europe policière.

Néanmoins, ces dispositifs ne suffisent pas à Washington qui multiplie les pressions pour qu’il soit encore renforcé. Ainsi, selon l’hebdomadaire European News, publié à Bruxelles, les "fonctionnaires des USA et de l’UE sont en train d’étudier les modalités d’extrader en Amérique les individus soupçonnés de terrorisme dans le cadre du nouveau mandat d’arrêt européen et sur la base de l’assurance de la non application, dans certains cas, de la peine capitale ". Plus encore, Rockwell Schnabel, ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’Union européenne n’a pas hésité à déclarer que " l’opposition à la peine de mort dans les pays européens constitue un obstacle majeur à l’adoption de mesures plus dures contre le terrorisme international ", et de proposer qu’on " pourrait imaginer que les personnes soupçonnées de terrorisme soient extradées dans mon pays où la peine capitale est autorisée et que, dans certains cas, on pourrait renoncer à l’appliquer ".

Accepter ces exigences reviendrait à abroger le Protocole n° 6 concernant l’abolition de la peine de mort dans les pays membres de l’Union et rendre caduque la Charte des droits fondamentaux adoptée avec de grands élans droits de l’hommistes il y a un an à Nice.

Face à cet empressement des législateurs, force est de constater le consensus des politiques, dirigeants syndicaux, maîtres à penser, éditorialistes à propos de ces décisions-cadres. Tous y sont favorables et à ceux qui posent des questions on répond, la main sur le cœur, que ces dispositifs ont pour seul but de combattre le terrorisme et que jamais, au grand jamais, un manifestant ou un gréviste ne sera inquiété par ces lois d’exception.

Qui, sérieusement, peut croire que l’arsenal juridique international mis en place contre les actes terroristes, sans cesse complété sous les auspices des Nations Unies depuis 1963, ou les dispositions adoptées depuis 1977 par le Conseil de l’Europe, permettent aux auteurs d’attentats de rester impunis et que ceci justifie d’ouvrir le champ à l’arbitraire ?

Ne soyons pas naïfs, la réalité est que les États-Unis et les membres de sa Sainte Alliance ont besoin, pour mener leur politique de la canonnière, pour consolider leur hégémonie et renforcer leur contrôle sur les matières premières, les marchés financiers et le commerce international, que l’ordre règne, que la mondialisation et ses effets ne soient contestés nulle part. D’où la nécessité comme le disait, dans son intervention lors du Forum international du 2 décembre à Paris, Jan Myrdal : " de criminaliser ceux qui s’opposent à leur politique et les mouvements de libération en les qualifiant de terroristes. Formellement il n’est naturellement pas possible à nos gouvernements de nous accuser d’être des terroristes. Mais nous ne seront pas toujours protégés par nos visages roses. Quand les lois sécuritaires seront en place, que l’exigence de preuves ne sera plus nécessaire, alors ils pourront nous juger et nous condamner. "

Si, pour s’opposer à l’obscurantisme et au fanatisme, nous abdiquons nos droits et libertés de citoyens, l’obscurantisme et le fanatisme auront gagné. Si le terrorisme, et les peurs qu’il suscite, permettent de nier les principes de l’État de droit et de faire prévaloir le " Führersprinzip ", (3) alors plane une menace totalitaire. C’est de cela qu’il s’agit, ni plus ni moins.

 


Fr.. .



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