Centre for Research on Globalisation

Centre de recherche sur la mondialisation

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Exiger le d�sarmement unilat�ral d'un seul pays dans une r�gion o� il y a des conflits n'est pas raisonnable. La seule solution passe par un d�sarmement global, en commen�ant par les pays les plus arm�s- Isra�l dans la r�gion et les Etats-Unis au niveau mondial.

 

Lettre ouverte aux pacifistes

par Jean Bricmont

 

 

Centre for Research on Globalisation (CRG),  Centre de recherche sur la mondialisation (CRM),  globalresearch.ca ,   27 September/ septembre 2002

Les concessions irakiennes et les recommandations de dirigeants de nombreux pays ne semblent pas �branler la d�termination affich�e par les Etats-Unis � imposer un "changement de r�gime" en Irak. En y renon�ant maintenant, ils perdraient d'ailleurs toute cr�dibilit�. Cette situation pose de nouveaux d�fis, tout en offrant l'espoir d'un renouveau des mouvements de la paix, � condition que nous nous ayons une vue claire de la situation. Les remarques qui suivent n'ont pour but que de lancer une r�flexion et un d�bat parmi les pacifistes sur les attitudes � prendre.

Tout d'abord, il faut appr�cier correctement les rapports de force r�els. Les Etats-Unis poss�dent une puissance de destruction, conventionnelle et non conventionnelle, unique dans l'hiistoire. Leur alli� isra�lien est de loin l'�tat le plus puissant du Moyen Orient. La sup�riorit� �conomique des Etats-Unis sur l'Irak est �crasante. Mais ce n'est pas tout; la plupart des moyens d'information au niveau mondial pr�sentent les Etats-Unis sous un jour favorable - en particulier en acceptant l'id�e saugrenue que ce sont eux et non l'Irak qui sont menac�s, malgr� le rapport de force existant. Par ailleurs, ni les vietnamiens ni les millions d'autres victimes de la politique am�ricaine depuis un demi-si�cle n'ont attir� une attention des m�dias comparable � celle consacr�e aux victimes du 11 septembre. Il existe aujourd'hui de nombreuses �tudes montrant que les m�dias sont syst�matiquement biais�s lors des guerres. Nous devons par cons�quent nous en m�fier et utiliser et diffuser, autant que possible, des informations alternatives.

Nous ne devons pas nous laisser enfermer dans la logique des sanctions qui seraient un moyen appropri� pour obtenir le d�sarmement unilat�ral de l'Irak. En effet, quelle est cette logique? Si on l�ve les sanctions, rien n'emp�chera l'Irak de se r�armer. Donc, l'exigence de d�sarmement m�ne � la perp�tuation des sanctions qui, comme en ont t�moign� des responsables du programme p�trole pour nourriture (von Sponeck et Halliday) ont des cons�quences g�nocidaires pour la population, et cela malgr� le fait que le r�gime irakien fait ce qu'il peut pour distribuer la nourriture disponible. Exiger le d�sarmement unilat�ral d'un seul pays dans une r�gion o� il y a des conflits et des convoitises multiples n'est pas raisonnable. La seule solution passe par un d�sarmement global, en commen�ant par les pays les plus arm�s- Isra�l dans la r�gion et les Etats-Unis au niveau mondial.

Les r�solutions de l'ONU ne doivent pas �tre sacralis�es par le mouvement de la paix. D'une part, depuis la cr�ation de l'ONU, il existe une r�solution demandant que les r�fugi�s palestiniens puissent rentrer chez eux. Tout le monde sait que cela ne se fera jamais et personne n'exige des bombardments massifs ou un changement de r�gime en Isra�l pour mettre cette r�solution en application. Ce type de r�solution peut donc rester longtemps lettre morte. D'autre part, la structure du conseil de s�curit� ainsi que les rapports de force �conomiques au niveau mondial font que l'ONU, loin d'�tre une instance neutre, est trop souvent une arme entre les mains des grandes puissances. Finalement, il ne faut pas oublier que l'ONU a �t� cr�� pour �viter � l'humanit� le "fl�au de la guerre". Si les Etats-Unis parviennent, au moyen de pressions politiques et �conomiques � convaincre le conseil de s�curit� d'appuyer leur offensive (comme ils l'ont fait en 1991), il ne faudra pas en conclure que la guerre est l�gitime, mais plut�t que l'ONU a renonc� � sa mission.

Il est, par ailleurs, absurde de pr�senter l'Irak comme une menace pour la paix. Aucun des pays voisins ne la consid�re comme telle. Lors de la guerre Iran-Irak, l'Occident a soutenu l'Irak, y compris en fournissant des armes chimiques, ce qui fait qu'il est assez cynique d'utiliser aujourd'hui cette guerre, comme on le fait en Occident, pour d�moniser l'Irak. L'Irak n'a aucun moyen d'envoyer des missiles sur les Etats-Unis ou l'Europe et, surtout, il n'y a aucune raison de croire que ses dirigeants soient pr�ts au suicide national qu'une telle attaque impliquerait. Lors de la guerre de 1991, ils ont laiss� leur pays �tre d�truit par des armes conventionnelles plut�t que d'utiliser les armes non conventionnelles qu'ils poss�daient.

Nous devons s�parer radicalement notre opposition � la guerre et notre opinion sur la nature du r�gime irakien. Qui accepterait que l'Inde, qui est une d�mocratie, envahisse la Syrie, qui est une dictature, pour y op�rer un "changement de r�gime"? Il ne faut pas non plus oublier que, pour les Etats-Unis, il y a des bonnes dictatures et des mauvaises, mais surtout, il y de bonnes et de mauvaises d�mocraties: l'Argentine sous Menem est une bonne d�mocratie parce que la population y est atomis�e et d�moralis�e et que les ressources nationales peuvent �tre brad�es; le V�n�zu�la de Chavez est une mauvaise d�mocratie, pour les raisons inverses. Il est � noter que dans leur empressement � "d�fendre la d�mocratie", les Etats-Unis et l'Union Europ�enne ont soutenu en avril 2002 au V�n�zu�la un des coups d'�tat les plus �ph�m�res de l'histoire. Quant au d�sir proclam� d'apporter la d�mocratie dans le monde arabe, il faut faire attention: un pays arabe qui serait v�ritablement d�mocratique tentera de contr�ler ses ressources et sera bien plus anti-sioniste que les dictatures actuelles, parce qu'une telle attitude refl�terait les aspirations de sa population. On peut douter que c'est cela que l'Occident souhaite.

Notre opposition � la guerre doit �tre inconditionnelle et bas�e sur des principe clairs. En particulier, elle ne doit pas se baser sur le co�t de la guerre, pour nous ou m�me pour les Irakiens, sur les risques de d�stabilisation de la r�gion etc. De tels arguments ont �t� avanc�s lors de la guerre du Kosovo ou de l'Afghanistan et, lorsque les �checs pr�dits ne se r�alisent pas, cela affaiblit encore plus le mouvement de la paix. Il est tr�s possible que les Etats-Unis arrivent � leurs fins par un coup d'Etat, une insurrection ou une guerre-�clair. L'avenir le dira, mais il ne faut jamais oublier qu'ils ont �norm�ment de cartes dans leur jeu et qu'ils ont proc�d� de la sorte tr�s souvent dans le pass�. Une opposition solide � la guerre doit partir d'une vision globale.

La guerre froide, loin d'�tre une simple lutte d�fensive contre le communisme, a �t� caract�ris�e par ce qu'on pourrait appeler la latino-am�ricanisation du monde , c'est-�-dire, d'une part, le remplacement de l'Europe par les Etats-Unis comme centre du syst�me imp�rial et, d'autre part, la substitution du n�o-colonialisme au colonialisme. Le n�o-colonialisme permet de continuer le pillage classique, exploitation des ressources et de la main d'�uvre du Tiers Monde (et, aujourd'hui, de la mati�re grise qui doit suppl�er aux d�ficiences de notre syst�me �ducatif), tout en permettant une autonomie politique formelle et une d�l�gation corr�lative des t�ches de r�pression. Les renversements d'Arbenz au Guatemala, de Mossadegh en Iran, de Goulart au Br�sil, d'Allende au Chili, de Soekarno en Indon�sie, de Lumumba au Congo ont �t� la face visible de cette politique, � c�t� d'une multitude de pressions en tout genre ainsi que de la m�canique de l'endettement. Le but des Etats-Unis en l'Irak est d'�tendre ce syst�me � tout pays r�calcitrant. Quels que soient les moyens mis en oeuvre pour y parvenir, c'est cet objectif, et l'accroissement des in�galit�s qu'il implique, que nous devons rejeter, et cela par principe.

Le mouvement altermondialiste devrait �tre un alli� privil�gi� du mouvement de la paix. Il est �vident que n'importe quel pays qui mettrait en oeuvre certaines des mesures que ce mouvement pr�ne, qu'il s'agisse de l'annulation de la dette ou de la remise en place de services publics forts, serait imm�diatement trait� comme l'Irak ou la Yougoslavie. On commencerait peut-�tre par des mesures de r�torsions �conomiques ou par une subversion politique (ce qui a d'ailleurs �t� essay� en Irak); mais il ne faut jamais oublier que la guerre est la derni�re carte du syst�me . Finalement, nous ne devons pas craindre d'�tre isol�s parce que nous adoptons une position claire. Les Etats-Unis sont forts militairement, mais ils sont en train de perdre la bataille des id�es; nous devons au moins faire tout ce que nous pouvons pour les affaiblir sur ce plan-l�. De plus, ils sont face � un dilemne: s'ils n'attaquent pas, ils perdent leur pouvoir d'intimidation. S'ils attaquent, ils d�cupleront la haine dont ils sont d�j� l'objet. M�me en Europe, leur arrogance suscite une forte opposition. Mais, dans le Tiers Monde, la situation est diff�rente: des millions de gens admirent bin Laden et admireront demain Saddam Hussein. Pourquoi? Parce qu'ils apparaissent - � tort ou � raison- comme les symboles de la r�sistance � l'oppresion et � l'exploitation. Nous ne sommes pas oblig�s de partager ce point de vue, mais nous devons au moins adopter une attitude qui nous d�marque radicalement des positions des gouvernements occidentaux et qui rende possible le dialogue entre les mouvements pacifistes en Occident et les mouvements bien plus radicaux qui existent dans le Tiers Monde, ainsi que dans les populations immigr�es ici. Ce sont eux nos v�ritables alli�s et non les repr�sentants de partis anciennement pacifistes qui ont vendu leur �me en �change de strapontins minist�riels. C'est seulement ainsi que le mouvement de la paix sortira de la l�thargie dans laquelle il est tomb� depuis la guerre du Golfe et contribuera � inverser la m�canique militaire, �conomique et id�ologique qui, depuis vingt ans, ne fait qu'aggraver la violence et l'injustice du monde.


 Copyright  Jean Bricmont  2002. For fair use only/ pour usage �quitable seulement .


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