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Derniers développements de la crise en Ukraine.

L'heure du compromis ?

par Jean Marie Chauvier

www.globalresearch.ca 12 décembre 2004

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La "victoire orangiste" proclamée dans l'euphorie il y a quelques jours semble devoir être réévaluée: les dirigeants des deux camps ont passé un compromis et semblent vouloir éviter l'affrontement. Non sans grincements parmi les "orangistes" partisans d'aller jusqu'au bout, telle "la pasionaria" Ioulia Timochenko, "princesse du gaz" au fort tempérament.

Le Parlement ukrainien a donc adopté, ce 8 décembre, la réforme constitutionnelle voulue par le président Léonid Koutchma, rejetée de longue date par Mme. Madeleine Albright, la principale inspiratrice américaine de la "révolution orange". Une réforme encore qualifiée la veille, d'"indigeste" par "Le Monde" de Paris. Or, le leader orangiste, Viktor Iouchtchenko l'a acceptée, en échange du départ, comme premier ministre, de son rival aux présidentielles Viktor Ianoukovitch, qui se trouve ainsi un peu plus "lâché", sous la pression internationale. Une garantie de plus que le chef de "Notre Ukraine" pourra conquérir le pouvoir lors du troisième tour des présidentielles le 26 décembre. En substance, la réforme limite les pouvoirs du président, l'Ukraine passe d'une république présidentielle à une république parlementaire. Une telle perspective devrait réjouir les "partisans de la démocratie". L'ennui, c'est qu'elle assure des possibilités plus étendues aux députés, donc à une majorité représentant les régions de l'Est et du Sud, les adeptes de Viktor Ianoukovitch, sans oublier le Parti Communiste d'Ukraine, très marginalisé dans la crise actuelle où il ne soutient aucun des deux camps, mais qui forme toujours le premier groupe parlementaire. La situation évolue et permet de nouvelles réflexions.

1. Les forces extérieures: USA, Pologne, Union Europénne.

Le rôle des Etats-Unis n'est pas évident et, hormis le but premier qui est d'affaiblir voire de "refouler" la Russie, plusieurs projets sont en lice. Celui de Zbigniew Brzezinski est le plus cohérent, radical, visionnaire. Madeleine Allbright mène le jeu non moins radical "sur le terrain". (Vaclav Havel n'est pas loin). Condolezza Rice s'est rapprochée des vues radicales concernant Poutine. Mais l'administration Bush et Colin Powell sont prudents, les néo-conservateurs donnent la priorité au Proche-Orient, même s'ils sont également "russophobes" et impliqués dans la déstabilisation en ex-URSS.

Les rapports avec Moscou ne doivent pas être trop détériorés, on a encore besoin de Poutine dans "la lutte contre le terrorisme". Le lâchage des séparatistes tchétchènes le montre: les Etats-Unis et la Grande-Bretagne leur accordent des facilités et des tribunes mais ne suivent pas les conseils de "Zbig", président du Comité pour la Paix en Tchétchénie (USA) du moins pas pour l'instant. Leurs stratèges savent parfaitement qu'une "victoire de l'Ouest contre l'Est" entraînerait la scission de l'Ukraine à court ou moyen terme. On devrait donc s'arrêter, dans la manœuvre, aux "limites du possible", en évitant la cassure. A moins que ce ne soit le but recherché: un état de plus à "faire exploser". But affiché par certains stratèges. (Zbig Brzezinski veut faire éclater la Russie, l'Azerbaidjan et l'Iran) Sauf surprise, ce n'est pas l'option actuelle des Etats-Unis.

Mais quel intérêt y trouverait l'Union Européenne, qui se charge de la "sous-traitance" de la crise à ses frontières ?

Le politologue russe Vladimir Simonov retient l'hypothèse d'une "opération américaine dirigée contre l'Europe" et consistant à rattacher, en tout ou en partie, l'Ukraine à la Pologne. Un projet de Zbig, dont le compagnon de lutte, Andrian Korotnicki, directeur de "Freedom House" (CIA) anime le mouvement "Pora" qui encadre la révolution orange. (3.000 militants, 15.000 membres, 300.000 sympathisants ? Tous ces chiffres circulent)

"En 1993 - raconte un militant "orange" ukrainien, Mykhajlo Horyn', j'ai rencontré un éminent politologue américain, d'origine polonaise, Zbiegniew Brzezinski. Il avait alors émis l'idée que l'Ukraine allait vivre un sérieux processus de migration et qu'il était très possible que dans quelques années, il ne reste plus en Ukraine que 25 millions d'habitants." (Il y en a actuellement 48 millions, contre 52 en 1990). Le jeu de la Pologne, ancienne puissance dominante et colonisatrice de l'Ukraine (14ème-17ème s) est l'une des énigmes de la crise.

L'Union Européenne joue-t-elle cependant un rôle modérateur, via les médiations de Javier Solana ? Son appui à la réforme de compromis qui réduit les pouvoirs présidentiels semble aller dans ce sens.

D'une façon ou d'une autre, l'Europe est confrontée à une crise majeure et de longue haleine. Quel rôle y jouera l'Union Européenne ? Incapable d'offrir aux Ukrainiens une perspective d'adhésion à court terme - ce que contredisent les promesses de Mme Madeleine Albright, véritable leader américaine de la campagne "orange" - Bruxelles devrait au moins inventer un régime préférentiel de nature à ne pas trop décevoir ses amis de Kiev.

L'UE est d'ailleurs objectivement intéressée à entretenir de bons rapports avec la Russie et les firmes russes et ukrainiennes qui assurent à l'Europe ses fournitures de gaz naturel.

2. Les forces internes

Le pouvoir sort globalement perdant de l'épreuve politique. Mais il conserve, avec la Russie, les principaux leviers économiques. Le compromis désamorce cependant les vélléités séparatistes à l'Est et au Sud, de même que le radicalisme nationaliste à l'Ouest. Moralement, la "révolution orange" reste triomphante, ayant réussi à mobiliser une partie de la jeunesse, alors que ses adversaires des régions industrielles et russophones de l'Est se sont repliés sur des attitudes attentistes, défensives, voire effrayées par l'ampleur des moyens mis en œuvre à leur encontre par "la communauté internationale" euro-atlantique. L'humiliation est probablement d'autant plus durement ressentie que ces gens veulent aussi se rapprocher de l'Europe, "ensemble" et non pas "contre" la Russie.

Sur le mouvement orangiste, il faut se garder des impressions produites par les images en boucle des télévisions, des semaines durant, dont les caméras étaient dûment braquées (autant que les micros et l'attention des reporters) sur la seule "Place de l'Indépendance" à Kiev. L'image donne quelques informations sur l'état d'esprit - enthousiaste - et les origines sociales des manifestants: il s'agit, en général, d'une foule bien habillée, urbaine, très peu représentative de l'Ukraine profonde des usines et des villages. Il faut savoir que, depuis la fin de l'ère soviétique, les loyers et le prix du mètre carré au centre de Kiev en ont chassé les populations peu fortunées, la physionomie sociale de la ville s'est modifiée. Les salaires moyens à Kiev sont trois fois plus élevés que dans la moyenne nationale. C'est également dans la capitale que sont concentrés la plupart des institutions bancaires et des firmes étrangères. On se souviendra que c'est dans les milieux des affaires et des firmes étrangères que Boris Eltsine, lors du putsch de 1991, avait recruté les cadres actifs de sa "défense du Parlement". (Le même qu'il fit bombarder en 1993)

En Ukraine, on sait très peu ce qui se passe dans l'Est et dans les provinces. Même s'il y a eu à certains moments 100 voire 200.000 manifestants à Kiev, en partie grâce à la logistique de "Pora" et d'autres ONG financées par les Etats-Unis, on ne peut pas parler de "lame de fond" de la société ukrainienne. Même si le "ralbol" envers les méthodes mafieuses du monde politique et financier est très large, et utilement capté par le mouvement orange, on ne peut parler ni de "révolution" (ce n'est qu'une métaphore) ni même d'une opposition durable et structurée, encore moins homogène.

Selon un expert ukrainien de tendance "orangiste", la "société civile" ne rassemblerait que 8% des Ukrainiens. Le mouvement est très disparate, volatil, "post-moderne". Comme celui qui a "soulevé" la Géorgie. Une fois élu à 97% le président Saakachvili, comment se porte "la démocratie géorgienne", la "société civile" qu'on a cru voir dans les rues ?

L'extrême-droite fasciste et antisémite qui soutient les orangistes (bien que Viktor Iouchtchenko se soit distancié des nostalgiques de la SS) accepterait mal la division du pays et un "retour des Polonais".

Les slogans contre les "Moskali-Kike" (Moscoutaires juifs) et les graffitis de svastikas ont d'ailleurs refleuri à Lviv (Lvov) ces derniers mois.

(Le lecteur-téléspectateur occidental ignore sans doute que les nationalistes de l'OUN (Organisation des Nationalistes Ukrainiens) des années 30-40 ont été réhabilités et même la SS Galicia en Galicie) La synagogue de Kiev a été attaquée par des manifestants, ce fait ignoré dans notre presse (?) est mentionné par le site des organisations juives en Ukraine, lesquelles ont décidé de fermer leurs locaux pendant une semaine dans toute l'Ukraine. Des faits isolés pour l'instant mais qui doivent inquiéter. Une Ukraine déstabilisée ne tarderait à voir ressurgir les monstres d'antan. Du temps où les peuples slaves, excités par l'Allemagne nazie les uns contre les autres (Rosenberg avait promis un état indépendant sous protectorat nazi à Stepan Bandera, chef de l'OUN) étaient globalement qualifiés d'"untermenschen" et exterminés en même temps que les Juifs. L'opposition systématique entre "anti-Russes" et "pro-Russes" de ces derniers temps- une pure fabrication politique et médiatique - va dans le même sens.

Qu'y peuvent gagner les Ukrainiens, qui ont fait preuve, depuis la dislocation de l'URSS, de leur peu de réceptivité aux slogans nationalistes et xénophobes, malgré tous les efforts déployés pour les y entraîner ?

Il semble bien qu'en dehors de quelques ultras, les responsables des deux "camps" aient cherché à éviter la dérive. On sait que l'assaut du palais présidentiel, lancé par Iulia Timochenko, a été stoppé par l'ancien ministre de la défense, très orangiste, le général Martchouk. Un bain de sang a été évité de justesse.

3. Les rapports Est-Sud-Ouest (de l'Ukraine)

A moins de choisir l'aventure, l'éclatement du pays, un compromis est inévitable. Il serait nécessairement fragile et peu durable. Un premier pas dans ce sens est la réforme constitutionnelle votée par le Parlement en vue de réduire les pouvoirs présidentiels. Ainsi, un Viktor Iouchtchenko président devrait tenir compte d'un parlement où les intérêts de "l'autre Ukraine" seraient bien représentés. Ce ne serait pas l'orangisme "total" que souhaitent les ultras du mouvement. Les sponsors américains semblent même avoir été rappelés à la modération par le secrétaire d'état Colin Powell. Washington a laissé la bride, testé les possibilités de modifier le rapport de forces en Ukraine, mais ne tient vraisemblablement pas à se charger d'une nouvelle crise internationale alors que les Etats-Unis s'empêtrent en Irak.

La fracture entre les deux Ukraines, latente mais aucunement dramatique jusqu'au coup de force "orange", est désormais irréversible. Les animateurs extérieurs de la confrontation l'ont délibérément encouragée avant d'en rejeter la faute sur les régions de l'Est et du Sud qui, forcément, n'accepteraient pas "la dictature" orangiste de l'Ouest.

La solution fédérale reviendra probablement à l'ordre du jour, que cela plaise ou non aux dogmatiques de l'Ukraine unitaire. Ce serait la seule manière de neutraliser les tendances séparatistes. L'Ukraine pourrait d'ailleurs s'inspirer, toutes proportions gardées, du "modèle belge" séparant la gestion des problèmes nationaux, régionaux et communautaires (linguistiques et culturels). L'opposition devra renoncer au refus d'accorder le statut de "deuxième langue officielle" au russe, de toute façon parlé par la moitié des Ukrainiens, en tout cas à l'Est, au Sud et à Kiev. L'alternative radicale est l'"ukraïnisation forcée" que préconisent les nationalistes et qu'ils mettent en pratique à Lviv, où les vexations à l'égard des russophones et les déprédations (grafittis de croix gammées) du Centre Culturel Russe se sont multipliées ces derniers mois.

De ce point de vue, l'Est et le Sud ukrainiens, plus soviétisés, sont plus "internationalistes" en raison même de brassages de populations de longue date et de l'éducation soviétique à "l'amitié des peuples". Cela doit être rappelé, au risque de faire "politiquement peu correct". La dislocation de l'URSS, avec l'érection de frontières intérieures qui n'existaient pas et la poussée des nationalismes et des prosélytismes religieux, la rage "idenditaire", n'ont fait que semer la zizanie. Entre l'Est de l'Ukraine et la Russie "la frontière" est encore largement inexistante ou très poreuse, de part et d'autre vivent des populations mixtes qui n'ont, entre elles, que les "problèmes" qu'on leur invente. Or, les nationalistes ukrainiens veulent recenser les "vrais Ukrainiens" habitant de l'autre côté de la frontière pour les défendre en tant que "minorité". De leur côté, les nationalistes russes entendent bien défendre les russophones d'Ukraine contre l'"ukraïnisation forcée". Et en avant le scénario yougoslave !

Quel est ici le choix "européen et civilisé" ? Attiser ces hostilités, ou les combattre à l'heure où la difficulté de vivre pour le grand nombre exacerbe les tensions ? Conclusion de cette conclusion très provisoire: la meilleure garantie contre les divisions "ethniques" et la xénophobie serait d'enrayer le libéralisme destructeur des acquis sociaux et des solidarités. Mais là, évidemment, on ne tombera pas d'accord avec les néo- et socio-libéraux (ukrainiens, russes, occidentaux) pour qui les progrès des libertés marchandes et des inégalités "stimulantes" constituent "la base de la démocratie".


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