Centre de recherche sur la mondialisation
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Cet  horrible conflit est la dernière guerre coloniale

par Robert Fisk

The Independent, 4 décembre 2001
Centre de recherche sur la mondialisaiton (CRM), globalresearch.ca   le mars 2002

 


Est-ce qu'Ariel Sharon peut contrôler son peuple ? Peut-il contrôler son armée ? Peut-il l'empêcher de tuer des enfants, de laisser des pièges à explosifs dans les vergers ou de tirer au mortier sur les camps de réfugiés ? Est-ce que Sharon peut empêcher son armée de voyous de détruire des centaines de maisons de réfugiés à Gaza ? Peut-il "frapper un grand coup" contre les colons juifs et les empêcher de voler encore et encore les terres des Palestiniens ? Peut-il empêcher ses tueurs des services secrets de tuer leurs ennemis palestiniens -- de procéder à des "assassinats ciblés" comme la BBC appelait hier ces exécutions avec une servilité destinée à éviter toute critique israélienne ?

Bien entendu, il est interdit de poser ce genre de questions. Alors légalisons-les. Les attentats suicide palestiniens à Jérusalem et Haïfa sont dégoûtants, mauvais, révoltants, impardonnables. J'ai vu le résultat immédiat de l'attentat à la Pizzeria de Jérusalem au mois d'août dernier : des femmes et des enfants israéliens, déchirés par les explosifs truffés de clous -- pour s'assurer que les survivants seraient défigurés à jamais.

Je me souviens des condoléances lyriques d'Arafat, et j'ai pensé --comme n'importe quel Israélien j'imagine -- qu'il n'en pensait pas un mot. En fait, je n'en crois pas un mot. Arafat a utilisé les mêmes expressions éloquentes quand ses tueurs assassinaient des Libanais innocents pendant la guerre civile. Du flanc, me disais-je. Et je le pense encore.

Mais on a eu un indice menant sur la voie du vrai problème quelques heures après le dernier bain de sang en Israël. Colin Powell, le Secrétaire d'Etat US, était interrogé par CNN, de façon obséquieuse, sur ses réactions au massacre. Rien, répondit-il, ne peut justifier ce "terrorisme", et il continua en parlant du sort des Palestiniens, qui souffrent d'un taux de chômage de 50 %. Cela m'a assis. Le chômage ? Ainsi, M. Powell pense que le conflit est à propos du chômage.

Et je repensai à son discours à Louisville le 20 novembre quand il lança son "initiative au Moyen-Orient". "Les Palestiniens doivent…" en était le thème : les Palestiniens doivent "arrêter la violence", les Palestiniens doivent "arrêter, poursuivre en justice et punir ceux qui commettent des actes terroristes" ; les Palestiniens "doivent comprendre que, pour autant que leurs griefs sont légitimes" -- notez le "pour autant que" -- "la violence ne peut pas être une réponse" ; les Palestiniens "doivent réaliser que la violence a un impact terrible sur Israël".

Ce n'est que quand le Général Powell dit à son public que l'occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza devait cesser qu'il devint clair que c'est Israël qui occupe la Palestine et non le contraire.

La réalité, c'est que le conflit israélo-palestinien est la dernière guerre coloniale. Les Français pensaient qu'ils avaient livré la dernière bataille de ce genre. Ils avaient conquis l'Algérie depuis longtemps. Ils établirent leurs fermes et leurs colonies dans la plus belle terre d'Afrique du Nord. Et quand les Algériens réclamèrent l'indépendance, ils les traitèrent de "terroristes", ils tirèrent sur les manifestants et torturèrent les guérilleros et ils assassinèrent --dans des "exécutions ciblées" --leurs opposants.

De la même façon, nous réagissons au dernier massacre en Israël selon les règles du département d'Etat US, de CNN, de la BBC et de Downing St. Arafat doit se bouger, effectuer son devoir comme policier de l'Occident au Moyen-Orient. Mubarrak le fait en Egypte; le roi Abdullah le fait en Jordanie ; le roi Fahd le fait en Arabie Saoudite. Ils contrôlent leurs peuples pour nous. C'est leur devoir. Ils doivent remplir leurs obligations morales, sans aucune référence à l'histoire ou aux souffrances de leurs peuples.

Alors laissez-moi vous raconter une petite histoire. Il y a quelques heures avant d'écrire cet article -- quatre heures après que le dernier kamikaze se soit tué avec ses victimes à Haïfa -- j'ai visité un hôpital minable et plein de mouches à Quetta, la ville à la frontière du Pakistan

Où on amène les victimes afghanes des bombardements américains. Entouré d'une armée de mouches dans le lit n°12, Mahmat --les Afghans n'ont pas de noms de famille -- m'a raconté son histoire. Il n'a avait pas de caméras de CNN, pas de reporters de la BBC pour filmer le patient dans cet hôpital. Et il n'y en aura pas. Mahmat dormait chez lui à Kazikarez il y a six jours quand une bombe tomba d'un B-52 sur son village. Il dormait dans une pièce, sa femme dans une autre avec les enfants. Son fils Nourali mourut, ainsi que Jaber, 10 ans, Janaan, 8 ans, Salamo, 6 ans, Twayir, 4 ans, et Palwasha, 2 ans, la seule fille.

"L'avion vole si haut qu'on ne l'entend pas et le toit en terre est tombé sur eux" dit Mahmat. Sa femme Rukia, qu'il m'a permis de voir, était dans le lit d'à côté (le n°13). Elle ne savait pas encore que tous ses enfants étaient morts. Elle avait 25 ans et l'air d'en avoir 45. Un morceau de tissu rendait son front digne. Ses enfants, comme tant d'autres Afghans innocents dans cette horrible "guerre pour la civilisation", sont des victimes que MM. Bush et Blair ne reconnaîtront jamais. En regardant Mahmat demander de l'argent, la bombe américaine avait soufflé ses vêtements et il était nu sous sa couverture d'hôpital, une image terrible se présentait à mes yeux : lui et le cousin en colère derrière lui et l'oncle et le frère de sa femme en train d'attaquer l'Amérique pour venger les meurtres qu'elle leur a infligés …

Un jour j'en ai peur, les cousins de Mahmat seront assez en colère pour prendre leur revanche sur les USA, et dans ce cas, ce seront des terroristes, des violents. On peut même se demander si leurs dirigeants pourront les contrôler. Ce ne sont pas de Ben Laden -- la famille de Mahmat me l'a dit " Nous ne sommes ni taliban ni Arabes" --mais, franchement, qui pourrait les blâmer s'ils décidaient de s'en prendre aux USA pour le crime terrible et sanglant contre leur famille ? Est-ce que Washington peut convaincre ses forces spéciales de protéger les prisonniers ? Est-ce que Washington peut contrôler son peuple ?

 

Traduit par Christine Delphy


 

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