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Il faut soutenir la r�sistance irakienne

Interview avec Pietro Ingrao, ancien r�sistant, grande figure et conscience morale de la gauche italienne

Ernesto de mai-juin 2003 2003
www.globalresearch.ca   25 septembre 2003

Le URL de cet article est: http://globalresearch.ca/articles/ING309A.html


Fosco Giannini. Dans les jours les plus br�lants du conflit en Irak, certaines de tes d�clarations dans lesquelles tu disais souhaiter que le peuple irakien r�siste � l'invasion � consid�rations qui nous ont paru irr�prochables et cr�ment appropri�e � la dure r�alit� des faits �, ont suscit� aussi � gauche et dans le � mouvement � perplexit� et pol�miques. Tu y rappelais que � l'impunit� pour les agresseurs aurait �t� probablement le pire � ; que � qui veut vraiment arr�ter la guerre avant tout doit aider les Irakiens dans leur r�sistance civile et arm�e � � qui aujourd'hui se poursuit sous une autre forme mais qui continue � ; que � si les Irakiens sont �cras�s, l'arrogance de la superpuissance am�ricaine deviendra encore plus grande � ; que � r�sister aux agresseurs est depuis des mill�naires la premi�re condition pour la paix. � et que cette v�rit� tu l'avais apprise durement face aux panzers divisions hitl�riennes ; et que tu es � un pacifiste, mais pas un froussard �. Tout cela nous a paru �tre le langage courageux d'un communiste, d'un combattant, et nous n'avons jamais pens� � nous ne sommes pas de mauvaise foi � qu'il comport�t une quelconque indulgence envers le r�gime de Saddam Hussein.

Dans une r�cente entrevue que tu as accord�e � Luciana Castellina pour la Rivista del Manifesto (mai 2003), tu as pr�cis� que tu voulais � souligner la valeur de l'acte de r�sister : dans le cadre du conflit arm� et de l'�preuve de force �. Et que � amoureux de la paix �, tu savais bien que � face � la guerre en acte, il faut aussi r�pondre � sa violence : combattre et aussi soutenir l'agress� qui lutte les armes � la main �.

Aujourd'hui, qui soutient cette approche est consid�r� � aussi dans quelques secteurs du mouvement social et de la gauche radicale � comme un � conservateur �, un � orthodoxe �, un � arch�o-communiste �, un porte-parole d'une � culture de la force � et de l'� ennemi �. Quelqu'un qui n'a pas su s'�manciper de la pire culture politique du mouvement ouvrier et communiste du XXe si�cle. Mais il nous semble que ces critiques, lorsqu'elles sont de bonne foi, dissimulent une dramatique r�gression vers l'id�alisme, vers une repr�sentation ing�nue et romantique de la lutte pour la transformation du monde, qui rappelle le socialisme utopique de la premi�re partie du XIXe si�cle, que Marx consid�rait comme facteur de d�sarmement politique et auquel il adressa, non par hasard, des critiques br�lantes et impitoyables. Veux-tu approfondir avec nous cette probl�matique � du consensus et de la force �, � partir de la lutte des fauteurs de guerre ?

Pietro Ingrao. Je maintiens que quand un �tat (dans le sens que l'on donne � ce mot en 2003 de notre si�cle), sens un motif clair et �tay� de d�fense de son territoire, envahit avec ses forces arm�es (de terre, de ciel et de mer) le territoire d'un autre �tat, pour en abattre le gouvernement, en occuper le territoire et en d�truire l'arm�e, les flottes a�riennes et navales et tous ses autres moyens de d�fense, effectue une agression.

C'est ce e qu'a fait l'arm�e anglo-am�ricaine en f�vrier de cette ann�e, apr�s qu'elle n'eut pas r�ussi � obtenir le consensus d'une majorit� au Conseil de s�curit�, et en fait face � l'�chec d�sormais �vident de son projet d'obtention d'une autorisation de l'ONU pour son attaque militaire.

Et ce n'est pas tout. L'invasion de l'Irak a �t� accomplie avant que fussent amen�es des preuves s�rieuses de l'existence de ces armes secr�tes, qui avaient �t� pr�sent�es par les �tats-Unis comme leur premier et plus urgent motif pour mener la guerre en Irak. N�anmoins, au moment pr�sent, alors que l'Irak est sous le plein contr�le am�ricain, il semble que des preuves de l'existence de ces armes aient �t� trouv�es[1].

En fait l'intervention arm�e anglo-am�ricaine s'est entrelac� avec la nouvelle th�orie de la � guerre pr�ventive �, qui a supplant�e radicalement l'id�e de la seule l�gitimit� de la �guerre d�fensive � : principe qui est un des fondements de la Constitution de notre pays, et qui du reste fut pr�sent� comme un principe fondateur des Nations Unies.

Tel a �t� le cadre juridique et politique, italien et mondial, dans lequel a �t� d�clench�e l'intervention arm�e militaire en Irak. Comment ne pas la qualifier d'� agression � ?

Et face � une agression aussi manifeste et lourde de signification aussi quant � l'aspect du monde, il m'est apparu licite d'invoquer le droit de � r�sistance � : c'est-�-dire le droit (je serai sur le point de dire � l'obligation morale �) de s'opposer par les armes dans les mains � l'envahisseur. Il n'en a pas �t� ainsi. Malheureusement la � r�sistance � irakienne n'a pas exist� ou s'est rapidement �croul�e face � l'attaque de l'agresseur, pour de raisons qui avant tout renvoie � la figure malheureuse de Saddam et au caract�re de dictature aveugle qui caract�risait son r�gime.

Peut-�tre ai-je �t� h�tif ou trop imaginatif en invoquant le droit � r�sister. Cela n'estompe pas le fait que en Irak et contre l'Irak il y a eu une agression sous le regard de tous, et que le monde pacifiste n'ait r�ussi ni � arr�ter l'invasion am�ricaine ni � susciter les germes d'une passion nationale. Quant � l'Occident pacifiste � nous devons le dire � il a r�ussi seulement � accomplir (je pense, avant tout, � Gino Strada et � ad Emergency) une �uvre humaine de secours aux bless�s, � assister les mourants et � ensevelir les morts. Nous devons regarder de mani�re lucide ce qui a eu lieu.

Je ne peux pas vraiment dire si les conflits arm�s, dont on r�alise l'existence sur cet infortun� pays de mani�re sporadique et confuse, sont les embryons d'une guerre islamique de demain ou seulement les �tincelles de la d�sagr�gation de ce pays occup� par l'�tranger. Il y a tant que choses de cette r�gion que nous ne connaissons � peine ou de mani�re approximative. Et dans mon �me, je ne veux pas encore renoncer � mon esp�rance � si tu veux, m�me fragile � d'une lutte, peut-�tre prochaine, contre l'agression.

Quant aux objections que tu m'exposes, c'est-�-dire aux doutes des pacifistes � propos d'une conflit arm�, ma r�ponse est toute enti�re dans ce que je viens de dire : quand l'agresseur tire, il d�clenche le droit � la d�fense. Autrement il ne resterait qu'une voie enti�rement libre pour chaque agresseur. Mais non seulement : je pense que cette renonciation des int�ress�s � la r�sistance donnerait � la fin un alibi aux terroristes et finirait par alimenter tristement le d�sespoir des � kamikazes �, que je n'arrive vraiment pas � voir comme une issue pour les Palestiniens. Pour finir : je serais vigilant face � une strat�gie qui risquerait de pr�senter le pacifisme comme une voie ouverte pour l'initiative arm�e de l'agresseur, alors que nous nous trouvons � l'�poque de la � guerre pr�ventive �, c'est-�-dire d'une strat�gie g�n�rale qui se propose si bruyamment d'� agir en premier � lorsqu'il s'agit de prendre les armes. Et nous parlons d'armes nouvelles et inconnues de mon temps.

Dans l'interview men�e par Luciana Castellina et cit�e plus t�t, tu dis que nous devons �tre rudes et impitoyables dans notre �valuation des r�sultats de la guerre du Golfe, la premi�re (ou presque) mise � l'�preuve de la doctrine de la guerre pr�ventive. Que la guerre de Bush ne se r�sout pas par une victoire s�che et rapide sur l'autre camp : deux semaines pour abattre l'ennemi, mais correspond � l'installation directe et arm�e de la superpuissance am�ricaine dans une zone que chacun dans le monde consid�re comme strat�gique. Entends-tu dire � apr�s des mois et des mois de bras de fer entre les USA et la partie du monde qui s'est oppos�e � la guerre (�tats, �glises, imposants mouvements de masse) � le bilan que nous pouvons tirer est celui d'une victoire s�che et d'un renforcement global et strat�gique des fractions les plus extr�mistes de l'imp�rialisme am�ricain (appelons les ainsi) et d'une d�faite grave du front de la paix ?

Sinc�rement oui : c'est ce que je soutiens. Il faut regarder les d�faites les plus br�lantes avec courage. Et en tirer les le�ons ad�quates et n�cessaires.

Je vais tenter de sortir des g�n�ralit�s. Cela fait un certain temps que dans mes r�flexions ent�t�es, j'incite � poser la question des voies et des moyens pour peser sur les � pouvoirs �. Et � c'est �vident � mes yeux � je fais allusion aux pouvoirs qui d�cident du caract�re de la soci�t�, mais aussi de l'emploi d'armes au r�le nouveau et bouleversant pour l'action politique. Peser sur ces pouvoirs (je parle ici au pluriel : parce que la structure de commandement est plurielle dans les nations du XXe si�cle, m�me quand elles ont des dimensions imp�riales) fut le th�me que j'�voquai lors de cette rencontre �mouvante dans une salle de la Forteresse de Basso, pendant les journ�es m�morables de la marche mondiale de Florence.

Nous les voyons tous � l'�il nu. Les mutations advenues dans la trame des pouvoirs politiques mondiaux dans les vingt derni�res ann�es (et, pour �tre clair, avec l'�croulement d�sastreux de l'empire sovi�tique) ont �t� �normes. Plus exactement s'est ouverte une �poque dans laquelle sont remises en question les relations entre le dirigeant am�ricain et les diverses et complexes puissances rivales, avant toute celle qui correspond � l'Europe. Il ne s'agit pas seulement du Moyen-Orient : aujourd'hui toute la g�ographie politique de l'Europe est en question. S'�l�vent des questions br�lantes : que sera la Conf�d�ration europ�enne ? Quel sera le positionnement final d'un Poutine, c'est-�-dire de la Russie ? L'OTAN est-elle encore en vie ? Et quel sera le rapport nouveau entre euro et dollar ? Etc.

Je soutiens donc qu'il n'y a (pas encore ?) ni un empire universel ni (je pense ne pas t'�tonner) une disparition des �tats nations et de leurs variantes juridico-sociales.

Certes : ce monde complexe est aujourd'hui de mani�re �clatante sous l'h�g�monie pesante de l'imp�rialisme am�ricain � la Bush. Mais � l'int�rieur existent et r�sistent encore des variantes nationales sp�cifiques, de fortes diversit�s de syst�me de pouvoir et de coalitions sociales en comp�tition : et elles p�sent � et comment � dans la vie de chacun des pays.

Alors voici la question : sommes-nous capables d'avoir un impact sur ce tissu de pouvoirs selon une strat�gie d�finie ? Et la vari�t� et la complexit� des mouvements no global ont-elles d�velopp� des formes de confrontation ad�quates � propos des strat�gies � coordonner et � soutenir dans le cadre de cette trame articul�e de pouvoirs mondiaux ? Sommes-nous, par exemple, de porter � ce niveau politique, � la fois le maniement et l'utilisation de cette Conf�d�ration europ�enne naissante, et aussi de d�finir les r�percussions de ces �v�nements bouleversants � l'int�rieur m�me de l'�tat italien ? Et avec quel n�ud d'articulations ? Avec quelles esp�rances pour une perspective pacifiste, et quelles incidences sur les points saillants de la controverse mondiale ?

Ceci exige, � gauche, des recherches communes et la construction de strat�gies aux port�es m�me quotidiennes. Le peut-on ?

� regarder tout ce qui a touch� au r�f�rendum sur l'article 18[2], on dirait que non. Moi, j'ai vot� ou � ce r�f�rendum. Il se peut � mais je ne le pense pas � que je me sois tromp�. Mais je n'ai absolument pas compris le choix de s'abstenir : �tant donn� que le choix se posait alors de mani�re concr�te, on ne pouvait pas le fuir : et prendre le large ne pouvait qu'aggraver l'�chec. M�me aux fins d'une r�flexion critique sur l'extension ou, au moins, sur l'application de cet article 18, le r�sultat pouvait bien plus f�cond et active, s'il l'on n'aboutissait pas � ce d�sastreux 25 %.

Et alors : que veux-je dire avec ce discours sur les pouvoirs ? Ceci : l'examen, opportun et conscient des questions touchant � l'article 18 � au sein de ce corps articul� qu'est le centre gauche

� Qu'est-ce que j'entends par ce discours sur les"pouvoirs" ? j'entends qu'il faut aussi proc�der � un examen, rapide et conscient, faire en quelque sorte une � preuve de l'article 18 � � dans le corps articul� du bloc de centre-gauche. Cela � travers une maturation des d�cisions, avec des engagements publics, des adaptations conscientes de la conduite commune des uns et des autres (de la part des syndicats et des partis, des mouvements et des avant gardes) � A partir du champ de la confrontation en cours parmi des figures diff�rentes du centre-gauche. Mais aussi � partir d'�changes, de soutiens, de d�veloppements des rapports entre les diff�rents journaux, entre les institutions et les partis classiques etc.

Dans une r�cente interview tr�s stimulante au Manifesto, Mario Tronti a repris quelques unes de ces interrogations : � Une puissance d'un niveau unique est mat�rialis�e dans les USA. Comment se confronte-t-on � une telle puissance ?� pas seulement avec la multitude�, mais aussi avec un �quilibre des puissances� Ce super-pouvoir ne s'arr�te pas seulement avec des drapeaux accroch�s aux fen�tres. Il peut tout � fait exister une opinion publique mondiale �norme mais impuissante face � une puissance unique d�barrass�e de toute force antagonistes �. Que penses-tu de ce jugement ?

Personnellement, je pense que le cadre mondial est plus articul� mais aussi plus confus, plus oscillant, voire au moins instable.

Et les contradictions qui traversent la terre de ce mill�naire sont plus diff�renti�es. Je vois bien l'importance des pr�occupations de Tronti. Mais il y a un espace pour des articulations moins unilat�rales. J'ai peur d'une certaine complaisance � l'�gard des Grands, l'acceptation de leur monopole, alors ce dernier ne s'est pas encore impos�.

Je ne crois pas que l'Am�rique ait toutes les cartes en main. Le monde est encore multiple. Encore une fois ce sont les faibles et les forces interm�diaires qui donnent pr�matur�ment la partie pour close. On ass�che ainsi la politique. Alors qu'au contraire, Bush pratique, lui, la politique, parfois m�me f�brilement.

Cela requiert qu'en face disparaissent les chapelles que d�fendent leurs petits drapeaux avec tant de componction. Un petit exemple pour chacun : est-il possible que sur l'article 18 on ne soit pas parvenus � un accord qui emp�che l'inutile fragmentation entre vote et non vote ?


Traduit par B.E.

Notes

[1]. NdT : � ce jour les recherches am�ricaines n'ont cependant toujours rien r�v�l�es et les r�cents compte-rendus de la commission Hutton, en Angleterre sont en train de d�montrer non seulement la vacuit� des accusations am�ricaines ant�rieures � la guerre, mais aussi les falsifications auxquelles se sont livr�es les administrations anglaises et am�ricaines pour faire admettre l'importance du � danger irakien �.

[2] R�f�rendum promu en Italie par le Parti de la R�fondation Communiste, la CGIL et d'autres forces contre le licenciements abusifs.


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