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Centre de recherche sur la mondialisation

 

Guerres sans Fin

par Diana Johnstone

La Sorbonne, Paris le 26 /f�vrier 2003.
www.globalresearch.ca    1er mars 2003

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Droit international contre droit du plus fort

Devant le Conseil de S�curit� le 14 f�vrier, le ministre fran�ais, Dominique de Villepin, a fait un discours admirable de raison et de clart� qui a �t� tr�s appr�ci� -- sauf, vous le savez bien, par les dirigeants et la presse anglophone.

Les Etats-Unis sont dirig�s actuellement par un petit groupe de m�galomanes dont les id�es et les projets �taient parfaitement inconnus de l'�lectorat am�ricain qui, selon la Cour Supr�me choisi par son p�re, avait �lu George Bush... par une large minorit� de votes. Plus fondamentalement, l'�lectorat am�ricain depuis longtemps n'a pas de vrai choix, car le processus "d�mocratique" au niveau national a �t� compl�tement accapar� par le complex militaro-industriel.

Une poign�e d'illumin�s a impos� une politique qui n'a jamais �t� soumis � un d�bat d�mocratique aux Etats-Unis, et il ne veulent pas que le d�bat venu d'ailleurs arrivent aux oreilles des citoyens Am�ricains. C'est pour cela que leurs propagandistes dans les m�dias ont r�pondu par un torrent d'invectives imb�ciles vers� sur la France -- dont la faute originelle n'�tait que de vouloir habiller la guerre � venir de quelques oripeaux de l�galit� internationale. Car la position de la France, jusque l�, revenait � tenter de rester dans les formes du droit international, rien de plus. Mais l'�quipe au pouvoir � Washington n'appr�cie gu�re cet effort. Son but est d'impressionner le monde et de lui dicter sa loi par la force. Le droit international doit c�der au droit du plus fort, c'est la base du "nouvel ordre mondial" style Bush et compagnie. Les dirigeants am�ricains ont l'habitude de dire de celui qu'ils veulent attaquer, qu'il "ne peut comprendre que la force". Plus exactement, ils voudraient que les autres ne comprennent que la force, car c'est le langage qu'eux, il ma�trisent. Ils veulent que la d�monstration soit faite que la force aura le dernier mot.

La crise irakienne fait ressortir une opposition dramatique entre le droit international et le droit du plus fort. Le droit international, dans la mesure o� il serait universel, applicable � tous de la m�me mani�re, est maintenant un obstacle que Washington pr�f�re �craser par la loi du plus fort -- sa loi � elle.

L'Illusion de la "Communaut� internationale"

Pour la vieille Europe, et surtout pour la France, cette crise autour de l'Irak devrait mettre fin � certaines illusions. La grande illusion des ann�es quatre-vingt dix �tait d'imaginer que l'immense puissance militaire des Etats-Unis pouvait se laisser transformer en instrument charitable pour accomplir les interventions "humanitaires" souhait�es par les champions des droits l'homme devenus la conscience d'une vague "communaut� internationale". La r�f�rence constante � cette "communaut� internationale" avait deux fonctions id�ologiques: de masquer la destruction de l'autorit� des Nations-Unies, et de donner l'impression d'un certain multilat�ralisme. Ce concept vague s'applique surtout aux nations occidentales, suppos�es repr�senter la conscience sup�rieure de l'humanit�. En m�me temps, cette "communaut� internationale" correspondait, en r�alit�, � un "condominium imp�rial" des puissances occidentales capitalistes qui, unies sur l'h�g�monie am�ricaine, pourrait dominer le monde ensemble sans se d�truire mutuellement dans les guerres mondiales pour diviser les continents du Sud. Cette "C.I.", communaut� internationale ou condominium imp�rial, imposerait un ordre "moral" au monde, bas� sur les "valeurs", notamment les "droits de l'homme".

La Continuit�

En comparaison avec l'�quipe Bush, ouvertement de plus en plus criminelle, le monde risque d'�prouver une �norme nostalgie pour l'administration Clinton, et de souhaiter le retour des D�mocrates comme les chr�tiens de l'antiquit� souhaitaient le retour du Christ. Le multilat�ralisme traditionnel des D�mocrates sauvaient au moins les apparences aux yeux des alli�s europ�ens, qui pouvaient jouer les seconds r�les et payer la n�te avec un minimum de dignit�. Mais attention, s'il est vrai que d'abord l'�lectorat d�mocrate, puis � un bien moindre degr� les politiciens d�mocrates, sont comme on dit l�-bas plus "lib�raux", c'est-�-dire plus sociaux, en ce qui concerne la politique int�rieure, il y a deux r�serves � signaler: pour la politique int�rieure, tout se situe aujourd'hui largement � la droite par rapport � la France... et deuxi�mement, en ce qui concerne la politique ext�rieure, c'est surtout l'emballage qui change. Dans le fond, il y a une grande continuit�, due � la logique d'un complexe militaro-industriel surgonfl�, et assur�e par la petite �lite de sp�cialistes qui cr�ent les projets de politique internationale dans le conforts des fondations priv�es, abrit�s des regards de la population en g�n�ral mais tr�s proches des grands m�dias.

Je voudrais signaler quelques indices de cette continuit�. Vous avez vu le Pr�sident Bush exhorter ses troupes en proclamant que "nous avons la plus grande arm�e de la terre" comme si c'�tait une qualit� morale. Mais l'ambassadrice de Clinton, Madeleine Albright, avait exclam�, "� quoi �a sert d'avoir la plus grande force militaire du monde si l'on ne l'utilise pas!" La personnalit� qui, choqu� par ces mots belliqueux, les avait racont�s dans ses m�moires n'�tait autre que le G�n�ral Colin Powell, qui depuis en a vu d'autres...

Oui, et c'�tait d�j� Madeleine Albright qui voulait � tout pris d�clencher la guerre contre la Yougoslavie sans mandat du Conseil de S�curit�. Aujourd'hui, quand le Pr�sident Chirac et son ministre des affaires �trang�res insistent sur la n�cessit� de passer par le Conseil de S�curit� des Nations-Unies, on est presque g�n� de rappeller que la France n'avait pas le m�me scrupule il y a quatre ans...Mais il faut le dire.

Le Kosovo

Ici je dois aborder un sujet que beaucoup pr�f�rent �viter, le Kosovo, car l'illusion n'est pas encore totalement dissip�e en ce qui concerne le Kosovo, dont beaucoup gardent encore une impression erronn�e des causes comme des effets. Il faut y revenir parce que la "r�ussite" de la guerre du Kosovo est cit�e r�guli�rement aujourd'hui comme pr�c�dent heureux, comme argument irr�futable en faveur de la "guerre pr�ventive"contre les "dictateurs" qui ne penseraieent qu'� commettre des "g�nocides". Si on ne brise pas cette illusion, on continuera � brandir "le Kosovo" comme la carte blanche � la guerre "juste" en permanence

Tout cela �tait pr�visible. Justifier la guerre pr�ventive sans mandat du Conseil de S�curit� devait cr�er un pr�c�dent dangereux, comme Hubert V�drine lui-m�me a bien reconnu peu apr�s, dans les pages du Monde diplomatique. Je ne peux pas juger � quel point les dirigeants europ�ens disposant de services de renseignement �taient dupes de la rh�torique du moment, mais tous ont r�p�t� la m�me propagande � l'�poque: les mensonges les plus �normes venant de l'�quipe britannique autour de Blair, qui r�cidive, et du ministre de la d�fense allemand Rudolf Scharping, qui a �t� d�mission� depuis au milieu d'une pl�thore de scandales.

En France, il existait le "lobby Sarajevo" qui r�clamait cette intervention militaire comme le seul moyen de traiter les conflits yougoslaves. Beaucoup d'intellectuels fran�ais, surtout qui ont transform� la fonction de la "philosophie" de qu�te de savoir en �talage d'indignation contre les m�cr�ants lointains, ont stigmatis� tout effort de comprendre et de chercher la conciliation comme une sorte de complicit� avec le nouvel "Hitler". En rejettant tout r�alisme en politique comme l'oeuvre du diable, ils sont pr�f�r� tourner vers les missiles cruises pour r�gler les affaires complexes. Il fallait une na�vet� volontaire pour croire que les Etats-Unis -- vu leur histoire d'ing�rences ouvertes ou clandestines (parmi d'autres) au Guatemala, en Iran, au Vietnam, au Chili, en Angola, et de fa�on presque constante depuis un si�cle dans toute l'Am�rique centrale -- allaient, une fois lib�r�s de la contrainte repr�sent�e par une superpuissance rivale, se transformer en branche arm�e des soeurs de la charit�.

En r�alit�, les Etats-Unis ne se sont pas laiss� entra�n�s dans la guerre au Kosovo � cause des arguments de BHL ou des larmes de Glucksmann.

Comme pour la guerre en Iraq, ils voulaient y aller et cherchaient des pr�textes, quand ils ne les cr�aient pas. Les vrais causes sont visibles � partir des effets r�els. Les r�sultats �loquents de la guerre du Kosovo sont les suivants: * l�gitimer la guerre comme moyen privil�gi� pour r�soudre les probl�mes politiques, ce qui revient � d�l�gitimer la n�gociation, la diplomatie, la m�diation, tous les moyens pacifiques qui, on voit aujourd'hui, sont rejet�s comme des formes de l�chet�.

Et le Kosovo lui-m�me? Le probl�me des "deux peuples pour une terre "durait depuis longtemps, et aurait pu �tre trait� avec patience comme d'autres probl�mes du m�me genre. Ce qui a pr�cipit� la crise �tait d'abord la crise financi�re en Albanie en 1997, qui d'une part ouvrait une porte � la n�gociation (en d�courageant pour l'instant les s�paratistes) et d'autre inondait le Kosovo d'armes vol�es dans les arsenaux albanais. Un carrefour entre paix et guerre o� les Etats-Unis surtout ont choisi le chemin de la guerre, tout en disant le contraire. L'U�K, soutenu vigoureusement par un lobby � Washington comprenant un ancient candidat r�publicain � la pr�sidence, Robert Dole, a pu jouer contre Milosevic le r�le des "Contras" lanc�s par la CIA contre le Nicaragua sandiniste, pour r�duire toute la Yougoslavie � un statut comparable � celui des pays de l'Am�rique centrale. Le Kosovo occup� et gouvern� formellement par les Nations-Unies, en r�alit� par les pays de l'Otan avec quelques auxiliaires subordonn�s, est devenu la plaque tournante de trafics de femmes, de drogue et d'armes. Lib�r�s de la police serbe, les milices albanophones font la guerre les unes aux autres. Je ne dirai pas que c'est cela l'objectif am�ricain, mais c'est le type de situation dont ils s'accommodent fort bien un peu partout l� o� ils cherchent n'importe quel alli� contre un r�gime r�calcitrant.

La volont� d'ing�rence militaire

D�s l'ouverture de la crise yougoslave au d�but des ann�es quatre-vingt-dix, l'ing�rence des puissances occidentales -- sans le dire ouvertement, et dans une certaine mesure peut-�tre sans le penser -- avait tout fait pour entra�ner leur propre intervention militaire.

1 - D'abord, il est notoire que le gouvernement allemand a insist� sur la reconnaissance de l'ind�pendence de la Slov�nie et de la Croatie, contre tout usage diplomatique et contre l'avis de leurs propres diplomates sur place. C'est un sujet int�ressant, que je traite dans mon livre, mais par d�f�rence envers l'attitude actuelle du gouvernement allemand, je ne veux pas insister trop sur ce sujet ici. Mais il faut noter pourtant que ceux qui pr�naient une reconnaissance rapide insistaient qu'elle emp�cherait la guerre civile en tranchant la question de la Yougoslavie une fois pour toutes. Mais le v�ritable r�sultat de la reconnaissance rapide ne fut pas de mettre fin au conflit, mais plut�t de transformer une guerre civile en conflit international, ouvrant la voie � l'intervention internationale. En prenant parti pour les s�cessionnistes, les �tats europ�ens r�duisaient leur possibilit�s de m�diation neutre et contribuaient � la polarisation.

2 - Puis, la d�sint�gration violente de la Yougoslavie fut d�termin�e aussi par les Etats-Unis qui, tout en se proclamant en faveur de la pr�servation de la Yougoslavie, par voie diplomatique interdit � l'Arm�e populaire yougoslave de garder l'unit� du pays par la force. Ce geste de "pacifiste b�lant" revenait � donner carte blanche aux forces nationalistes et s�paratistes qui s'�taient arm�es clandestinement et qui se sont mises � r�aliser la s�cession par fait accompli. Toutes ces s�cessions -- celle de la Slov�nie, de la Croatie, mais aussi des Serbes de Krajina qui faisaient s�cession de la Croatie -- auraient pu �tre emp�ch�es par l'arm�e yougoslave, le temps de prendre des mesures pour sauver la F�d�ration multinationale, ce qui �tait sans doute ce que souhaitait encore la majorit� de la population de la Yougoslavie, qu'on n'a jamais consult�e sur dans son ensemble et qui n'imaginait pas les d�sastres � venir.

L'ironie, c'est qu'� la fin les Etats-Unis, qui avait interdit l'utilisation de la force pour pr�server le pays "multi-ethnique" ont fini par utiliser eux-m�mes une force bien plus d�vastatrice, soi-disant pour pr�server la multi-ethnicit� de certains fragments de la f�d�ration �clat�e. Ce qu'ils n'ont m�me pas r�ussi � faire par leur force militaire, vu l'�tat des relations inter-ethniques extr�mement tendues dans les protectorats de Bosnie et du Kosovo.

Derri�re la fa�ade du multilat�ralisme, dans les conflits yougoslaves, les Etats-Unis ont sabot� les efforts europ�ens de favoriser une solution n�goci�e.

-- En Bosnie, ils ont encourag� Izetbegovic, dont le parti avait de bonnes relations aux Etats-Unis, surtout par Mohamed Sacirbey et son p�re.

Il faut surtout lire les m�moires de David Owen pour voir comment Washington a sabot� tout accord de paix. En assimilant la guerre � un match sportif, on adoptait l'absurde slogan qu'il fallait doter la Bosnie d'un "terrain de jeu �quitable" en armant la partie la plus faible... une logique d�j� appliqu�e en fait dans la guerre Iran-Iraq, que l'Occident avait attis�e pendant huit ans... mais qu'on n'applique �videmment pas � Isra�l et Palestine. En r�alit�, avec l'Iran et d'autres pays musulmans, les Etats-Unis ont renforc� le parti d'Izetbegovic, avec pour r�sultat, une guerre prolong�e, plus de souffrances et de morts, des int�gristes islamistes venus d'ailleurs install�s autour de Zenica et en fin de compte une Bosnie encore plus divis�e qu'aurait �t� la Bosnie d�cid�e � Lisbonne.

Loin d'�tre exceptionnelle, cette alliance avec le parti islamiste �tait en parfaite continuit� avec la politique am�ricaine au Moyen Orient, qui a constamment favoris� les Islamistes contre les r�gimes la�cs dans les pays musulmans. C'est ainsi que les r�seaux d'anciens combattants d'Afghanistan, parfois li�s � bin Laden, �taient les bien-venus. Et il est tr�s significatif que la d�l�gation d'Izetbegovic � Dayton fut conseill� par Richard Perle, le sinistre conseiller au Pentagone de l'administration Bush, champion de l'extr�me droite en Israel, Netanyahou....

-- Au Kosovo, au lieu de rechercher la conciliation, Washington l'a rendu impossible en encourageant l'intransigence des Albanais.

A travers la National Endowment for Democracy {"la fondation nationale pour la d�mocratie"), �tablie sous l'administration Reagan pour financer l'ing�rence dans la vie politique d'autres pays, les Etats-Unis ont pu influencer la fa�on dont le probl�me du Kosovo �tait vu par le monde ext�rieur, et m�me par les Albanais du Kosovo eux-m�mes. Cette fondation est un exemple important du ph�nom�ne de "l'organisation non-gouvernementale" ...gouvernementale, ph�nom�ne qui joue un r�le capital dans la formation de la "politique des droits de l'homme" qui sert � justifier les interventions dites "humanitaires". Cette aide am�ricaine �tait particuli�rement importante dans le domaine d�cisif de l'information sur les droits de l'homme.

La source principale de tous les rapports diffus�s dans le monde entier sur la question du traitement de la population albanaise au Kosovo �tait le "Conseil pour la D�fense des Droits de l'Homme et des Libert�s", fond� en 1989 par des militants s�paratistes albanais. Cet organisme ne s'int�ressait pas aux droits de tous les habitants du Kosovo, mais uniquement des Kosovars albanais, car le Conseil �tait l'instrument de propagande cl� pour la cause, et l'exag�ration des faits devenait une habitude. Un don de la fondation a permis au Conseil d'embaucher un directeur � plein temps et d'�tablir un r�seau de 27 sous-conseils, pr�sent dans tous les villes de la province. En 1998, une publication de cette "fondation nationale pour la d�mocratie" se vantait de cette aide, qui a fourni aux quelques 2,000 volontaires des machines de fax et des ordinateurs. Le Conseil, selon son bienfaiteur, �tait "la source d'information la plus importante sur les droits de l'homme au Kosovo. Une large gamme d'organisation internationales de droits de l'homme et des agences de presse utilisent ses informations, telles que la F�d�ration Internationale des Droits de l'Homme, la Commission des Nations-Unies pour les Droits de l'Homme, et l'agence Associated Press."

Ainsi, une petite province cens�e crouler sous une oppression digne des Nazis �tait couverte d'un r�seau de bureaux pay�s par l'�tranger o� les opposants de l'�tat travaillaient sans cesse pour discr�diter cet �tat aupr�s des organisations et des publics du monde entier. Etant donn� la difficult� de p�n�trer la soci�t� albanaise traditionnelle, et la raret� de personnes ma�trisant la langue albanaise, il n'�tait pas facile pour les ONG ou les agences de presse �tranger de v�rifier ces informations.

Pourtant, en g�n�ral elles les acceptaient et les diffusaient sans poser trop de questions. C'�tait "les victimes" a priori... Cette cr�dulit� foncionnait comme une invitation aux deux mille Albanais du r�seau � rapporter tout ce qu'ils pensaient susceptibles de servir leur cause, sans trop se soucier de ce concept abstrait "la v�rit�", un id�al pas n�cessairement consid�r� comme plus honorable que la fid�lit� aux siens, au clan, au sang. Pendant les bombardements de l'Otan, ce m�me Conseil continuait � fournir � l'Occident les histoires d'atrocit�s dont il �tait plus avide que jamais... pour justifier ses bombardements. Apr�s, quand beaucoup de ses histoires se sont r�v�l�es fictives, on pensait d�j� � autre chose.

-- En liaison �troite avec l'UCK, les Etats-Unis ont sabot� la mission de l'OSCE (ainsi qu'en t�moigne l'ambassadeur fran�ais Gabriel Keller). Ils ont transform� l'incident de l'attaque de la police serbe contre la base d'UCK � Racak en "massacre" g�nocidaire et en casus belli.

Ici il faut noter un autre �l�ment de continuit� dans le personnel: l'ambassadeur envoy� par l'administration Clinton pour diriger la mission de l'OSCE au Kosovo, William Walker, �tait un ancien de l'ing�rence la plus sanglante en Am�rique centrale. Ses activit�s li�es aux "Contras" l'ont bien pr�par�s... et sous la pr�sidence de Reagan, Walker �tait un proche collaborateur d'Elliott Abrams, dont les activit�s criminelles li�es aux ventes ill�gales d'armes � l'Iran pour financer les terroristes "Contra" ont �t� �tablies... et pardonn�es par le premier pr�sident Bush.

Aujourd'hui ce m�me Elliott Abrams -- tr�s li� � l'extr�me droite sioniste -- apr�s avoir �t� charg� des "droits de l'homme", est charg� des affaires du Moyen Orient par le Conseil National de S�curit� de Bush.

-- Pour revenir � l'administration Clinton, les Am�ricains ont bloqu� au lieu d'encourager les n�gociations entre Albanais du Kosovo et Belgrade. Enfin, ils ont emp�ch� que les "n�gociations" de Rambouillet trouvent une solution pacifique. Non seulement par leur "annexe B", qui aurait transform� toute la Yougoslavie en pays d'occupation militaire, -- mais en ignorant compl�tement les propositions serbes et en insistant avant tout sur la pr�sence au Kosovo, non pas d'une force de paix internationale, disons des Nations Unies, qui aurait pu �tre acceptable par Belgrade, mais de l'Otan. L'essentiel pour Washington c'�tait l'occupation par l'Otan. Et une fois sur place, ils ont construit (sans demander la permission � personne) la base de Bondsteel, d'o� ils encouragent l'UCK � poursuivre son projet en Mac�doine...

Le mythe manich�en de la Deuxi�me Guerre Mondiale

L'acceptation de la guerre comme seul moyen de traiter le probl�me du Kosovo revenait � confirmer et � renforcer le mythe manich�en de la Deuxi�me Guerre Mondiale comme grille de perception du monde. Ce mythe est un �l�ment essentiel de la propagande des Etats-Unis dans sa phase actuelle de justicier universel. C'est l'antidote au suppos� "syndrome du Viet-Nam", le�on d'�chec. Ce mythe est un conte de f�e bas� sur une version simpliste des ann�es 1933-45 transform�es en unique mod�le pour saisir l'identit� profonde des nations et de leur relations. Ainsi, tout est r�duit � quelques personnages: d'abord, Hitler, le monstre, ses victimes passives, et l'Oncle Sam qui sauve ceux-ci de celui-l�. Les motivations politiques sont �galement r�duites � quelques unes: du c�t� du monstre, une volont� diabolique de commettre un g�nocide. Du c�t� de l'Oncle Sam, la g�n�rosit� et le courage. Le r�le de l'Arm�e Rouge dans la d�faite de la Wehrmacht? A la trappe! Demandez aux Am�ricains qui a lib�r� Auschwitz ils diront les GIs, ils ont vu le film. Mais il y a quelques figurants, dont les Fran�ais, qui viennent de d�couvrir leur propre place dans cette distribution: les l�ches... j'arr�te l�, on n'a que consulter la presse dite de caniveau britannique. Mais cette vision simpliste trouve ses adeptes en Europe, et m�me en France, o� l'on ajoute un raffinement: le populisme nationaliste de la populace qui risque toujours d'�tre exploit� par le Hitler du jour ...

Ce mythe a ses utilisations. La plus �vidente est de justifier, dans les cas bien choisis, l'utilisation de la force am�ricaine contre toute n�gociation, la "capitulation inconditionnelle" de l'adversaire restant la seule issue de toute guerre entam�e par les Etats-Unis. Contre l'ancienne sagesse qui cherche � laisser une porte de sortie � l'autre, le Yankee n'accepte que l'humiliation totale de l'autre. D�s que les Etats-Unis veulent s'y ing�rer, tout dirigeant mal-aim� devient "Hitler" et chaque r�pression d'une r�bellion locale devient "g�nocide". Si ce sont nos amis, ils s'agit plut�t de lutte l�gitime contre le terrorisme.

Mais il y a une autre utilisation de ce mythe, plus subtile: il sert d'instrument d'intimidation morale envers l'Europe, surtout l'Allemagne et -- plus encore -- la France. Car par une �trange d�formation, qui n'est pas le sujet de cette conf�rence, la France est la cible privil�gi�e de l'accusation d' "anti-s�mitisme"... vaste sujet que je laisse de c�t�.

Affronter la r�alit� du vingt-et-uni�me si�cle

Le Pentagone a trouv� que le "multilat�ralisme" �tait une g�ne dans la guerre du Kosovo. Les Europ�ens ont pu apprendre qu'ils �taient l� pour partager les frais et faire le m�nage apr�s... cette le�on s'est r�p�t�e en Afghanistan. La le�on n'a pas encore �t� totalement assimil�e, mais l'�l�ve fait des progr�s sous la f�rule du ma�tre Rumsfeld. L'illusion de l'unit� europ�enne et atlantique a �t� bris�e par le m�pris manifeste des dirigeants anglo-am�ricains et de leurs m�dias envers leurs chers alli�s une fois que ceux-ci osent prendre une position ind�pendante.

Il faut d�mystifier les fameuses "valeurs communes". On peut penser que les Am�ricains dans leur grande majorit� ch�rissent toujours la libert� et la d�mocratie. Tout comme les Europ�ens, et tout comme, peut-�tre, la plupart des gens de par le monde d'une mani�re ou d'une autre. Pourtant, le capitalisme n�o-lib�ral d�chain�, un complexe militaro-industriel dominant, un lavage de cerveau quotidien de la part des m�dias poss�d�s par ces puissances-l�, un syst�me �lectoral soumis � l'argent, ont fini par �liminer la d�mocratie des sph�res dominantes de la soci�t� am�ricaine.

Il serait sans doute souhaitable d'apporter la d�mocratie en Bosnie-Herz�govine, au Kosovo, en Iraq ou au Tibet. Il est beaucoup plus essentiel pour l'avenir du monde de la restaurer aux Etats-Unis. Vous ne serez peut-�tre pas d'accord, mais ces puissances n�fastes qui dominent la vie politique am�ricaine n'ont pas encore �touff� la d�mocratie de la "vieille Europe". On essaie: la "nouvelle Europe" proclam�e par le Secr�taire � la d�fense Donald Rumsfield est celle o� les chefs de gouvernements suivent les ordres de Washington sans respecter ni le droit, ni la morale, ni leur opinion publique. C'est un �chantillon significatif de la "d�mocratie" que Washington veut imposer en guise de "nouvel ordre mondial".

La France a sombr�, comme le reste de l'Occident, dans la d�politisation du n�o-lib�ralisme, mais il y reste des "valeurs" qui ne sont pas celles de l'Am�rique de Bush. La libert�, pour les Bushites, c'est le "march� libre", qui n'est m�me pas libre, mais ordonn� selon les int�r�ts des plus forts, qui interdisent aux faibles de prot�ger leurs propres productions, populations et environnement... L'�galit� est totalement balay�e... Je suis d'accord avec Emmanuel Todd que les Etats-Unis imp�riaux ne peuvent plus pr�tendre � l'universalisme, tant leur syst�me aggrave de fa�on dramatique toutes les in�galit�s.

Quant � la fraternit�, une soci�t� dans laquelle les hommes se sentent oblig�s de s'armer jusqu'aux dents pour se prot�ger de leur voisin, elle bat de l'aile...

Donc parler d'une "communaut� de valeurs" entre la France et les Etats-Unis de Bush n'a plus -- je l'esp�re -- aucun sens. Les "valeurs" que Washington veut imposer par la force sonneraient le glas des valeurs de gauche issues de la r�volution fran�aise.

Certains en France r�vent d'une "Europe" superpuissance pour contrer la superpuissance am�ricaine. Mais la crise actuelle a d�j� montr� qu'il est trop tard pour cela ... Dans le domaine de la technologie militaire, les choses sont tellement imbriqu�es que "l'Europe" comme entit� politique ind�pendante ne peut pas rattraper les Etats-Unis, par ailleurs cette puissance militaire n'est con�ue que pour les "guerres" unilat�rales contre les adversaires faibles. Si l'Europe abandonnait, comme les Etats-Unis, ses avanc�es sociales pour financer une gigantesque machine militaire, elle finirait par faire une politique semblable ou identique.

L'alternative n'est pas de retourner aux rivalit�s entre grandes puissances imp�rialistes occidentales qui ont produit les deux grandes guerres du vingti�me si�cle.

Il est vain de riposter � l'arrogance am�ricaine par l'imitation. Il faut une voie oppos�e, dont on a vu un premier espoir avec le discours de Dominique de Villepin devant le Conseil de S�curit�. Ce discours a re�u une ovation qui montre la voie. Evidemment M. de Villepin n'apporte pas la r�volution, ni l'altermondialisation qu'on peut estimer n�cessaire pour sauver la plan�te. Mais au point o� nous sommes, la premi�re n�cessit� est de r�sister � la guerre de conqu�te, de faire respecter un minimum de droit international, et enfin de d�sarmer la seule grande puissance pr�te � l�cher ses armes de destruction massive sur les terres et les peuples du monde entier.

En l'absence d'une politique possible d'�galit� �conomique, les peuples tournent vers l'affirmation des identit�s, car la politique identitaire -- nationale ou religieuse -- promets au moins certains avantages dans une communaut� qui exclut les autres. C'est une tendance tr�s r�pandue, tout � fait compr�hensible, mais qu'il ne faut pas encourager. C'est un pas vers la guerre de tous contre tous, qui sera maitris�e par le plus fort.

L'auto-d�termination digne de soutien n'est pas l'affirmation d'une identit�, mais la volont� de d�veloppement visant l'�galit� de droits politiques dans un ordre �conomique qui conserve l'environnement naturel et social: l'�cole, la sant�, et d'autres services publics.

La France et la "vieille Europe" doivent chercher une nouvelle solidarit� avec le monde entier, et surtout avec les peuples du Sud... non pas en tant que "victimes" � sauver mais en tant qu'acteurs capables de r�gler leurs propres affaires... mal, peut-�tre, mais mieux que si on le fait � leur place. C'est cela les "valeurs communes" de libert�, d'�galit� et de fraternit�.

La crise actuelle a r�v�l� la seule voie pour l'Europe, indiqu�e presque par hasard (�lections allemandes, jeu fran�ais � l'Onu): de se joindre au reste du monde -- y compris la Chine et la Russie -- en exigeant un vrai multilat�ralisme mondial, qui oblige les Etats-Unis de devenir un grand pays comme un autre, et non pas le centre d'un Empire f�roce. -----


D. Johnstone auteure de "Fools' Crusade: Yugoslavia, Nato and Western Delusions" Pluto Press 2002.  Copyright  D. Johnstone 2003.  For fair use only/ pour usage �quitable seulement .


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