Centre de recherche sur la mondialisation

Le récent scandale impliquant la société Enron a permis de mettre en relief la corruption financière sous-jacente aux projets d'oléoducs des grandes sociétés pétrolières.

L'article ci-dessous examine la manière dont les pétrolières avec l'appui de la Banque mondiale ont de manière flagrante manipulé le droit foncier dans les pays en voie de développement afin de s'approprier de vastes étendues de terre.

 Les sociétés pétrolières et le pillage des terres autochtones

par Micheline Ladouceur

 
Centre de recherche sur la mondialisation (CRM),  globalresearch.ca , le 27  mai 2002

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« Enron avait un style en Amérique latine : un mélange d'arrogance de mensonges et de magouilles emballé par de généreuses contributions à la classe politique " (l'ancien directeur  d'Ecopetrol, l'entreprise nationale d'énergie colombienne).1

En Amérique latine, en Afrique, en Asie centrale… les géants pétroliers usurpent des terres ancestrales pour les besoins des grands marchés gaziers et pétroliers.

Sous la houlette de la Banque mondiale, une nouvelle politique économique s'est dessinée à l'échelle mondiale ayant pour conséquence la dérogation du droit coutumier et l'invasion « légitime » des terres autochtones par les géants du pétrole. Ces pétrolières ne font pas qu'administrer des pipelines et des projets énergétiques, elles sont également impliquées dans des actions visant la modification du droit foncier sur les terres autochtones.

En Amérique latine, la déréglementation du marché des terres ainsi que la privatisation des terres publiques ont permis à la société Enron de conquérir les secteurs du gaz et de l'électricité sans s'inquiéter pour autant des impacts sur l'environnement et les nations autochtones qui occupaient ces terres en vertu du droit coutumier.

Les plus puissantes transnationales, notamment les mégasociétés pétrolières Shell, Enron, TotalFinaElf, ont investi dans les plus importants mégaprojets énergétiques en Amérique latine. Ces investissements visent également des « projets de développement » dans des secteurs connexes : la prospection minière, les projets forestiers et environnementaux, etc.

Ces investissements furent réalisés grâce à de généreuses subventions auprès de ces compagnies. La Banque Mondiale octroie des crédits auprès des gouvernements qui à leur tour subventionnent ces grandes sociétés.

Les réformes économiques et la consolidation du pouvoir des transnationales

En octobre 1998, les représentants de la Banque Mondiale et du FMI se réunissaient à Washington avec les cadres supérieurs des plus grandes entreprises transnationales et les ministres de plusieurs pays en développement. La septième Conférence annuelle du Congrès mondial de développement économique incitait le "dialogue" (sic) entre les gouvernements et le secteur privé international afin de créer des liens étroits entre les différents acteurs. Il s'agissait d'établir, par l'entremise des actions de la Banque mondiale, de nouvelles règles économiques afin d'appuyer les projets d'investissement des méga-sociétés du gaz, du pétrole, des mines et des forêts.

Plus précisément, cette réunion visait à mettre en oeuvre de nouvelles règles pour « une mobilisation de l'investissement international du capital » tout en "minimisant les risques économiques" pour le capital étranger dans les "pays à faible revenu".

Pour leur part, les gouvernements souvent complices des pétrolières, garantissaient le financement des infrastructures tout en déréglementant les secteurs de ressources stratégiques (gaz, pétrole, électricité, mines et forêts), ce au coeur même des terres des autochtones. De nouvelles lois régissant la propriété foncière furent établies; les sociétés privées accèdent à des secteurs préalablement controlés par l'État. Dans cette même logique de financement de l'investissement étranger, la dette extérieure monte en flèche.

Parmi les pays représentés à la conférence du Congrès mondial de développement économique, le Brésil figurait comme l'excellent élève des leaders de l'économie mondiale. Le gouvernement brésilien avait déjà emboîté le pas durant le gouvernement du Président Fernando Collor de Mello au début des années 1990. Durant le premier gouvernement du président Fernando Henrique Cardoso, une mégapolitique de privatisation de plusieurs grandes industries et de terres publiques occupées par les autochtones fut mise en marche. La conséquence de cette politique fut d'affaiblir la société pétrolière nationale Petrobras. Alors que Petrobras demeure une compagnie d`État, elle a désormais perdu son monopole au profit des sociétés étrangères. De son côté, le gouvernement bolivien du président Gonzalez Sanchez de Losada ( Goni ) avait édifié un système unique de privatisation des grandes sociétés d'état des ressources stratégiques. Cinq des plus grandes sociétés d'état boliviens furent privatisées par l'entremise du processus dite de « capitalisation ».2  C'est ainsi que la compagnie d'état bolivienne, la pétrolière YPFB (Yacimientos Petroliferos Fiscales Bolivianos), fut scindée en quatre entités, dont trois capitalisées au profit des transnationales. La mise en place du processus de « capitalisation » des entreprises publiques à partir de 1994 a grandement favorisé le capital étranger. En d'autres mots, une partie importante du secteur public bolivien fut vendu au capital étranger.

Désormais tous les gouvernements des pays en développement imitent ce modèle exigé par la Banque Mondiale et du FMI., en complicité avec les intérêts de Wall Street. La Banque Mondiale a dessiné des réformes conformes aux exigences des créanciers et des investisseurs. Le président de la Banque Mondiale, James Wolfensohn, déclarait : "le Monde a besoin d'une nouvelle 'architecture de développement' assortie au nouveau système financier mondial".3  Dès son entrée en fonction, M. James Wolfensohn, avait promis de "révolutionner la Banque Mondiale" par des réformes économiques et "sociales".4  Ces réformes furent marquées par l'accroissement de l'aide aux grandes sociétés, leaders dans l'économie du pétrole et du gaz. Par conséquent, la Banque Mondiale a multiplié son financement aux projets les plus controversés, notamment les gazoducs GASBOL (Bolivie-Brésil), Yadana (Thaïlande-Myanmar) et l'oléoduc Cameroun-Tchad. Les bailleurs de fonds ainsi que les banques privées ont également octroyé des prêts pour le financement de ces grands projets d'infrastructures gérés par des transnationales pétrolières.5  Le Groupe de Banque Mondiale incluant sa Société financière internationale (SFI) ainsi que la Banque interaméricaine de développement (BID) avaient financé, par l'octroi de prêts au consortium, le tiers des montants requis au développement du gazoduc Bolivie-Brésil (Santa-Cruz-Porto Alegre 1997-1999).

Les impacts environnementaux

Or la Banque Mondiale se donne « bonne conscience » en prétendant que ses réformes contribuent à la diminution de la pauvreté tout en assurant le développement durable dans les "pays à faible revenu". Par ailleurs, le gaz naturel est souvent présenté comme une « source d`énergie verte », à savoir que le gaz produirait deux fois moins de gaz à effet de serre que le carbone et deux tiers moins que le pétrole (à cause de son bas niveau de carbone, il produit moins de gaz carbonique lorsqu'il brûle).

Mais ces résultats mis de l'avant par la Banque mondiale, sont remis en question par des études qui démontrent que le gaz contribue grandement à l'effet de serre. Par exemple, « le gaz est composé de méthane (90%) qui a un impact 20 fois plus important que le gaz carbonique. »6 Par ailleurs, les opérations de forage pour l'exploitation du gaz ont sensiblement les même impacts sur les populations et leur environnement que celles liées au pétrole. Ces forages (pétrole et gaz) produisent des déchets toxiques, sans compter la déforestation et les impacts environnementaux attribuables à la construction de nouvelles routes à travers des écosystèmes très fragiles. Alors que la Banque Mondiale et les mégasociétés pétrolières font la propagande du gaz comme l'"énergie verte" (gaz), les impacts environnementaux du mégaprojet gazier Bolivie-Brésil, et son projet d'expansion, sont très importants. Les environnementalistes ont souligné entre autres la déforestation et les émissions de carbone évaluées à 500 mille tonnes par an. Par ailleurs, la Banque mondiale et le FMI appuient les géants pétroliers ( Shell, Enron, TotalFinaElf, etc.) malgré les nombreuses accusations concernant la violation des droits humains et environnementaux .7 Au débat sur les activités des sociétés transnationales (STN) et leurs responsabilités des droits humains à l'ONU (Sous-Commission de l'Homme de l'ONU- SCDH), M. Grant Taplin, représentant du FMI, affirmait que « le FMI n'est pas mandaté pour prendre en compte les droits de l'homme dans ses décisions et qu'il n'est pas lié par les différentes conventions relatives aux droits humains »8

"Nous assistons à la mise en place d'une tendance visant à privatiser les droits humains: il existe aujourd'hui des consultants en matière de droits de l'homme qui travaillent pour certaines sociétés et on a même vu Amnesty International accepter de Shell des actes qui, du point de vue des droits de l'homme, sont inacceptables. Les codes de conduite sont une preuve de cette privatisation. Les Nations Unies ont adhéré à cette tendance en participant au Global Compact." 9


Notes

1. Gustavo Soto, Mort annoncée de Bolivie néo-libérale 1985-2001, Défis Sud, No. 50. 2002, http://www.defis-sud.info/

2. La capitalisation "consiste à transformer les grandes enterprises publiques en sociétés mixtes dont le capital est double lors de leur mise en vente, l'acquéreur souscrivant 50% des actions et se voyant accorder la direction de l'entreprise. La sélection de l'acquéreur se fait sur appel d'offres public international, l'adjudicataire étant celui qui aura proposé le meilleur programme d'investissements dans le pays. » Privatisations, www.up.univ-mrs.fr/~wlaglea/dept-lea/Pays/Bolivie/bol-pri.htm

3. "The World need a "new development architecture" to match the new global financial system", Réunion annuelle de la Banque Mondiale, le 28 septembre 1999, Financial Times, "Wolfenson pledges development reforms", 29 septembre 1999.

4. Oxfam a appuyé le nouveau président en disant qu'il amenait "a breath of fresh air".

5. Banque Intraméricaine de développement 240 millions, Corporacion Andina de Fomentp (CAF) 165 millions, Banque Européenne d'investissement 60 millions, Banque Nationale de Développement Économique et Social (BNDES) financent les tubes faits au Brésil, au Japon et aux États-Unis, 418 millions, Capacidade Opcional de Transporte (TCO) 389 millions. Des agrnces de crésit à l'exportation, dont J Bic et Marubeni Corporation du Japon et Mediocredito (Garantia Italia) particiopent également avec 346 millions. Source : Petrobras, 30 mars 2000 http://www.petrobras.com.br/minisite/portugue/gasoduto/slimpa.htm

6. Project Underground, Enron: the Global Gospel of Gas, 27 novembre 1997,  http://www.moles.org/ProjectUnderground/motherlode/enron.html  

7. Par exemple, au Nigéria, Shell a développé un projet pétrolier sur les terres Ogoni. Les opposants ont été emprisonnés et torturés.

8. Selon le CETIM (Centre Europe Tiers-Monde), des transnationales vont jusqu'à financer des activités terroristes, des coups d'état et des dictature… Jac Forton, Espaces latinos, 2001. www.espaces-latinos.org/articles/art029.htm

9. Claude K. Akpokavi, Les normes internationales du travail et les codes de conduite pour les sociétés transnationales, Actes et conclusions du séminaire de Céligny (Suisse), 4 et 5 mai 2001, organisé par AAJ et CETIM, http://www.cetim.ch/activ/08.htm


Micheline Ladouceur, rédactrice, Centre de recherche sur la mondialisation (CRM).  Copyright ©  Micheline Ladouceur, CRM 2002.


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http://globalresearch.ca/articles/LAD205A.html

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