Centre de recherche sur la mondialisation

[accueil]

Nouveau cadre juridique: R�formes constitutionnelles commandit�es par les investisseurs

La l�galisation du pillage des terres autochtones en Am�rique latine

par Micheline Ladouceur

Centre de recherche sur la mondialisation (CRM),  globalresearch.ca , le  14  juin  2002

CRG's Global Outlook, premiere issue on  "Stop the War" provides detailed documentation on the war and the "Post- September 11 Crisis." Order/subscribe. Consult Table of Contents

Malgr� le caract�re apparent des politiques de protection des droits autochtones en Am�rique latine, la Banque Mondiale envisage un sc�nario strictement dans les int�r�ts des investisseurs. Sans aucun respect pour les droits ancestraux, les firmes transnationales les plus puissantes ont ordonn� (par l'entremise de la Banque mondiale) l'application d'un nouveau cadre juridique dont le but consiste � l�gitimer la pr�sence des m�gasoci�t�s �trang�res dans les territoires autochtones. Les g�ants p�troliers n'ont pas besoin de s'engager dans de lourds investissements pour obtenir des concessions, incluant les terres ancestrales.

Partout dans le monde, la Banque Mondiale envoie des consultants pour que les gouvernements r�visent leur constitution et/ou la l�gislation dans les secteurs de l'�nergie, des mines, des for�ts et de l'environnement tout en r�formant la politique fonci�re (droits de propri�t�s de la terre incluant les droits coutumiers et ancestraux). Les Philippines (� Mining Act �), la Papouasie-Nouvelle-Guin�e (loi sur les droits coutumiers), la Colombie (le Plan Colombie), la Bolivie et le Br�sil sont parmi les nombreux pays � d�mocratiques � qui ont chang� la l�gislation fonci�re en faveur des puissances �trang�res. Par cons�quent, d�s le d�but des ann�es quatre-vingt-dix, les constitutions sont amend�es et de nouveaux d�crets concernant les terres autochtones sont introduits � une nouvelle l�gislation. Le Br�sil et la Bolivie constituent des cas patents de cette d�rogation aux droits autochtones.

Le processus l�gislatif et les territoires autochtones au Br�sil

La Banque mondiale subventionne les agences gouvernementales charg�es de la protection des autochtones et de la d�marcation des terres. Au Br�sil, la Funai (Fondation nationale de l'Indien) a appuy� la Banque mondiale, ainsi complice dans l'application des mesures d'aust�rit� affectant les populations autochtones.

Sous les auspices de la Funai, le Br�sil sera l'un des premiers pays � d�limiter des r�serves autochtones dans les int�r�ts des investisseurs. D�s le d�but des ann�es 90, les fronti�res des terres ancestrales furent modifi�es et/ou balkanis�es afin d'assurer l'expansion de projets �conomiques. (1) Par exemple, dans l'�tat d'Amapa, une gigantesque concession mini�re encerclent les r�serves autochtones uaiapi, ua�a, jaminam, galibi et tumucumaque. Le g�ant Anglo American PLC y contr�le soixante pour cent du riche domaine minier en or (trente millions d'hectares). (2)

Les nations autochtones sont maintenant conscientes du caract�re mensonger de cette politique de d�marcation des terres. Ces territoires deviennent des enclaves socioethniques alors que les activit�s �conomiques sont garanties � la p�riph�rie des r�serves. Suite � la d�marcation de certains territoires (o� les terres autochtones sont consid�rablement r�duits) la police f�derale civile et l'arm�e ont le mandat de prot�ger les droits des nouveaux propri�taires dont les grandes compagnies mini�res et foresti�res. C'est le cas du territoire des Yanomani au Roraima o� la prospection mini�re est omnipr�sente.

Pour la premi�re fois dans l'histoire du Br�sil, un gouvernement a favoris� � la r�duction � des territoires autochtones au profit des grandes soci�t�s, ce malgr� une politique de reconnaissance officielle des droits territoriaux. D�s le premier mandat du Pr�sident Fernando Henrique Cardoso (1993-1996) une s�rie de nouveaux d�crets fut propos�e au Congr�s. Nelson Jobim, alors ministre de la Justice, avait accus� le gouvernement de "prot�ger les droits des minorit�s" en "attribuant trop de terres" � un "groupe restreint de la population au d�triment des "nouveaux propri�taires", "muita terra para pouco indio" (beaucoup de terre pour peu d'Indiens).

Le Ministre s'appr�tait alors � faire voter un nouveau d�cret au Congr�s. Le d�cret 1775 (adopt� en janvier 1996) favorise l'ouverture des fronti�res des r�serves. Les int�r�ts priv�s et commerciaux peuvent d�sormais revendiquer des droits de propri�t� sur tous les territoires autochtones, incluant les r�serves d�j� d�marqu�es ou revendiqu�es par les nations autochtones. En juin 1996, la Funai avait d�j� re�u 1750 contestations (des grands propri�taires ou des compagnies priv�es) sur la base du d�cret.(3) Depuis la mise en vigueur du d�cret, plus de 85% des terres autochtones, reconnues par la Funai, avaient �t� envahies sous diff�rentes formes en 1999, notamment par les entreprises priv�es et �trang�res.(4) Aujourd'hui, plus de 60% des terres n'ont pas encore �t� enregistr�es dans le cadastre.(5)

Le plus grand producteur de pulpe d'eucalyptus du monde, Aracruz Inc. s'est servi du d�cret pour contester les droits ancestraux (terres d'occupation traditonnelle reconnues dans la Constitution) des Tupinikiim et des Guarani dans l'�tat d'Espirito Santo. Cette entreprise norv�gienne pr�tendait poss�der les titres de propri�t� sur les territoires (d�marqu�s et homologu�s dans le cadastre en 1983). Les autochtones d�cid�rent de d�marquer eux-m�mes leur territoire en l'occupant aux fronti�res (1998). Face � cette revendication, une op�ration militaire for�a les autochtones � signer une entente avec la transnationale et d'accepter la r�duction de leur territoire. (6) Par ailleurs, d�s 1996, l'Incra (Institut de r�forme agraire) avait remis des titres de propri�t� de terres � des paysans m�tis (d'origine autochtone ou "Noirs") � l'int�rieur des r�serves, d�j� envahies par les grandes entreprises. Ces autochtones et ces m�tis repr�sentent souvent une source de main-d'oeuvre � bon march� pour les grandes soci�t�s.

Cependant, malgr� le d�cret 1775/96, la l�gitimit� de l'exploitation commerciale continuait � poser un probl�me pour les transnationales. Les grandes corporations mini�res, foresti�res et �nerg�tiques ne voulaient pas que leur soient impos�es des fronti�res ou des r�gles limitant leurs activit�s �conomiques. Les ressources strat�giques se trouvaient le plus souvent � l'int�rieur des r�serves et les transnationales entendaient bien les exploiter en toute "l�galit�". Bien plus important que l'influence des fazendeiros (grands propri�taire fonciers) sur les politiques d'�tat, le lobbying des grandes soci�t�s aupr�s du gouvernement Cardoso a v�ritablement d�termin� l'application des nouvelles r�gles. L'avancement de m�gaprojets �nerg�tiques, tout comme l'agro-industrie et les industries foresti�re et mini�re, dans les territoires autochtones est dor�navant justifi� par une nouvelle r�glementation des activit�s �conomiques en territoire autochtone.

Les repr�sentants du Minist�re de la Justice et de la Funai pr�conisent d�sormais une politique, d�sign�e comme raciste, anti-autochtone, qui favorise en toute impunit� les activit�s commerciales. L'ex-Pr�sident de la Funai (1998-1999), Marcio Lacerda, avait d�clar� qu'il fallait favoriser la r�glementation des activit�s commerciales � l'int�rieur des territoires autochtones. Les autochtones devront ainsi se plier aux r�gles de la mondialisation. � Nous allons vaincre l'�re de l'assistance et aller vers le d�veloppement durable" (...) Les autochtones doivent assumer pleinement leurs pr�rogatives de citoyens. �(7)

Quelques mois plus tard, un projet de loi sur la r�glementation des activit�s �conomiques en territoire autochtone (1610/96) fut approuv� par le Congr�s (ao�t 1999). Ce projet a �t� propos� par un ex-pr�sident de la Funai (1986-1988), le S�nateur Rom�ro Juca. Cette loi, d�finie lors d'une r�union � huis-clos � la Casa Civil da Presid�ncia da Republica (Maison civile de la pr�sidence de la R�publique) sur la � r�glementation � de l'exploitation mini�re � l'int�rieur des r�serves autochtones, radicalisait le processus de r�duction des terres autochtones et de destruction culturelle et physique des Indiens du Br�sil.

Cette politique anti-autochtone devient de plus en plus ouverte. Le Pr�sident de la Funai Gl�nio Costa, nomm� en 2001 fut d�mis de ses fonctions � peine un an plus tard (juin 2002) en raison de ses positions favorables � l'�limination du d�cret 1610/96. Gl�nio Costa refusait de collaborer avec � les politiciens et les entrepreneurs ayant des int�r�ts �conomiques dans les territoires autochtones �. (8) Le chef du d�partement d'Artisanat de la Funai, Octavio Antunes dos Reis Filho devient ainsi le nouveau Pr�sident de la Funai. Il est consid�r� comme un proche collaborateur de Rom�ro Juca, l'auteur du d�cret. Les nouvelles lois, tout comme l'�tablissement d'un nouveau Statut de l'Indien par le gouvernement du Pr�sident Fernando Henrique Cardoso (FHC), ont �galement permis de l�gitimer l'�tablissement de m�gaprojets des soci�t�s p�troli�res empi�tant les territoires autochtones.. (9)

Le gazoduc Bolivie-Br�sil, GASBOL, de 3150 km (dont 2.593 km au Br�sil) sous la gestion d'un consortium international (10) a �t� l'amorce d'une grande pol�mique concernant la violation des droits territoriaux des Indiens du Br�sil et de la Bolivie par les p�troli�res. Par ailleurs, le c�ur de l'Amazonie br�silienne est menac� par le projet de gazoduc Urucu-Porto Velho (550 km) de la compagnie nationale Petrobras pour les int�r�ts d'une puissante p�troli�re �tatsunienne. El Paso Energy a besoin d'un nouveau gazoduc pour alimenter ces industries. Le projet fait actuellement l'objet de d�bats importants au Br�sil.

Terres autochtones et � d�veloppement �conomique � en Bolivie

Dans le m�me contexte, le gouvernement bolivien accordait des concessions aux transnationales pour l'exploitation des hydrocarbures, des mines et des for�ts � l'int�rieur des terres autochtones. . En Bolivie, dans le cadre du programme d'ajustement structurel dict� par les cr�anciers, un programme de reconnaissance formel de vastes territoires autochtones est mis en marche, et ceci pour la premi�re fois. Majoritairement autochtone, la Bolivie avait autrefois transform� � l'Indien et son identit� � en �paysan� �tabli sur des petites parcelles de terre et elle ignorait le droit des peuples autochtones (indigenas) dispers�s dans le bassin amazonien. L'INRA (Institut de r�forme agraire), cr�� en 1996, a amorc� un m�canisme de base pour l'�tablissement et la reconnaissance juridique des terres ancestrales appel�es officiellement TCO (Tierras Comunitarias de Origen, Terres communautaires d'origine). (10)

Mais ces r�formes constitutionnelles, commandit�es par les investisseurs occultent les v�ritables enjeux. Dans la pratique, la reconnaissance des TCO fut bloqu�e par des entraves administratives. Des ressources financi�res fort restreintes furent allou�es au projet. Depuis son entr�e en fonction en 1996, seulement quatorze TCO furent l�galis�s, soit � peine 10% des territoires revendiqu�s, tous localis�s dans les terres basses orientales (le Chaco et l'Amazonie). La grande majorit� des TCO fut financ�e par l'agence de coop�ration internationale danoise (DANIDA). Le CPESC (Coordination des peuples ethniques de Santa Cruz) continue de revendiquer �une reconnaissance l�gale du droit des Indiens � exploiter les terres selon leurs traditions et l 'autonomie administrative politique consistant � faire co�ncider TCOs et municipalit�s.�(11)

Cette dite � reconnaissance � devient lettre morte, car l'INRA avec l'appui de la Banque mondiale, �tait surtout interess� au processus de l�galisation du march� des terres, qui en quelque sorte constitue un instrument d'expropriation des terres de la petite paysannerie (pour la plupart des Indiens). En d'autres mots, le march� des terres m�ne � la privatisation des droits fonciers au d�triment des paysans. Par ailleurs, poss�der le titre de TCO ne permet pas le libre acc�s des autochtones aux ressources naturelles. Le gouvernement a �galement vot� un d�cret l�gitimant de nouvelles concessions foresti�res alors que les droits de propri�t�s de terre des communaut�s (dans les for�ts des provinces de Beni et Pando) n'avaient pas encore �t� d�finis. (12)

Parall�lement les g�ants p�troliers obtenaient de nouvelles concessions dans les terres ancestrales de l'Est bolivien. Selon les dispositions gouvernementales, les transnationales ont le droit d'exploiter les ressources strat�giques dans la mesure o� elles entrent dans des accords ponctuels (promesses de consultations et ententes) avec les autochtones. Ces accords qui sont souvent l'objet d'une manipulation par les transnationales, ont dans la pratique pour cons�quence d'annuler les droits ancestraux inscrits dans la Constitution. Tout comme au Br�sil, cette pr�sence des transnationales � l'int�rieur des TCO contribue a modifier les fronti�res ancestrales, au profit des compagnies. Le territoire des Weenhayeks fut consid�rablement r�duit lors de la d�marcation. Les Weenhayeks s'�taient oppos�s au pipeline Yacuiba (inaugur� en f�vrier 2002). Ce gazoduc fait partie du reseau de m�gaprojets d'hydrocarbure qui contribue a changer la g�ographie sociale et environnementale de la Bolivie.

Conclusion

D�sormais les "droits de g�rance �conomique" ont pr�s�ance sur les "droits territoriaux des autochtones. Les luttes pour la reconnaissance territoriale se multiplient face aux nouvelles concessions �conomiques. Des milliers de kilom�tres de gazoducs et d'ol�oducs traversent de nombreuses nations autochtones en Bolivie et en Br�sil. Cette expansion des m�gaprojets des p�troli�res partout dans le monde n'est donc pas sans lien avec un nouveau cadre l�gislatif dict� par les cr�anciers sous la houlette de la Banque mondiale.


Voir �galement l'article de Micheline Ladouceur intitul�:

Derri�re le scandale Enron: Les soci�t�s p�troli�res et le pillage des terres autochtones, 27 mai


Notes

1. Voir le site de la Funai au sujet de la d�marcation: http://www.funai.gov.br/indios/terras/conteudo.htm   Voir le site de l'IBGE (Institut br�silien de g�ographie et statistique) pour une carte montrant la d�marcation des terres autochtones en 1999 : http://www.ibge.gov.br/

2. Anglo-American PLC est n�e de la fusion entre la compagnie sud-africaine Anglo-American Corporation et Minorco.

3. Selon le Cimi, une augmentation de la violence de 92% par rapport � 1995. "Encontro debate a luta pela terra indigena apos 500 anos", Informe, no 379, 22 septembre 1999. L'un des auteurs du d�cret,. J�lio Marcos Germany Geiger, �tait Pr�sident de la Funai. en 1996.

 4. Raymundo Damansceno, secr�taire ex�cutif de la Conf�rence nationale des �vesques du Br�sil (CNBB), Campanha da Fraternidade tera indios como tema este ano, Folha de Sao Paulo, 14 f�vrier 2002. http://www.estado.estadao.com.br/jornal/02/02/14/news078.html

5. Le 11 novembre 1999 Carlos Frederico Mar�s rempla�ait Marcio Lacerda � la pr�sidence de la Funai. Il a �t� le fondateur du Centre des droits indig�nes (Nucleo de Direitos Indigenas, NDI) et de l'Institut Sociale et environnementale (ISA). Il sera remplac� par le g�ologue Glenio da Costa Alvarez l'ann�e suivante. Glenio Alvarez avait �t� responsable de la d�marcation des terres Yanomani.

6. En 1999, Gaspetro (Petrobras) poss�dait 51 % des actions de la TBG (et 9 % du c�t� bolivien). La TBG (Transportadora Brasileira Gasoduto Bolivia-Brasil S.A.) administre le transport et les op�rations du gazoduc qui traverse le Br�sil. Le reste des actions de la TBG sont r�parties entre des g�ants p�troliers: BBPP Holdings (British Gas, El Paso Energy , TotalFinaElf : 29% des actions), le consortium Enron/Shell (14%). (6% sont d�tenus par les fonds de pension bolivien.). Les projets gaziers seront l'objet d'un prochain article.

7. Cimi, Acordo Antiindigena, Informe, 15 avril 1998. http://metro.peacelink.it/zumbi/na_luta/cimi-es7.html

8. Entrevue avec Marcio Lacerda, O Jornal do Brasil, 22 avril 1999.

9. Cimi, O Presidente Fernado Henrique Cardoso manda demitir o presidente da Funai a pedido do Senador Romero Juca, Informe no 515, 6 juin 2002. Le nouveau pr�sident est form� en administration d'entreprises et �conomie.

10. Voir carte des TCO : http://cpti.galeon.com/mapa.htm

11. Gustavo Soto, Mort annonc�e de Bolivie n�o-lib�rale 1985-2001, D�fis Sud, 2002, http://www.sosfaim.be/Ds50/bolivie-neo_liberale.html

12. Bolivian Forum for Environment and Development (FOBOMADE), "Bolivia: concern over the fate of forests", WRM Bulletin,  22  avril 1999, http://www.amazonia.net/Articles/274.htm


Micheline Ladouceur, r�dactrice, Centre de recherche sur la mondialisation (CRM). Copyright � Micheline Ladouceur, CRM 2002.


Le URL de cet article est:
http://globalresearch.ca/articles/LAD206A.html

CRG's Global Outlook, premiere issue on  "Stop the War" provides detailed documentation on the war and the "Post- September 11 Crisis."

Order/subscribe. Consult Table of Contents

[accueil]