Centre de recherche sur la mondialisation
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A la réunion de l'OMC, collusion secrète entre entreprises et gouvernements

 

Les propositions de l'OMC sur l'AGCS sont un tissage entre les lobbyistes et les gouvernements

 

par Greg Palast 


Centre de recherche sur la mondialisation (CRM), globalresearch.ca,  le 14 novembre 2001


Trois documents confidentiels émanant du Secrétariat de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et d'un groupe de dirigeants financiers britanniques qui se nomment eux-mêmes les « British Invisibles », révèlent l'extraordinaire collusion secrète entre les entreprises et les gouvernements dans la mise à jour des propositions américaines et européennes pour changer les règles de l'OMC encore plus en faveur des intérêts privés.

Une série de documents, les minutes des rencontres secrètes du comité LOTIS « Liberalization of Trade in Services », obtenues par le programme de télévision de la BBC Newsnight et par l'organisation CorpWatch, sont l'enregistrement de 14 rencontres secrètes, d'avril 1999 à février 2001, entre le responsable britannique des négociations commerciales sur les services, la Banque d'Angleterre et les dirigeants du monde des affaires américano-européens. Parmi ceux qui ont siégé dans LOTIS on trouve Peter Sutherland, le directeur international de la banque d'investissement Goldman Sachs et ex-directeur général de l'OMC.

LOTIS est présidé par l'Honorable Lord Brittan of Spennithome, qui, en tant que Leon Brittan à présidé la Commission européenne. Il est actuellement le vice-président de la banque d'affaires international UBS Warburg Dillon Read.

On trouve aussi parmi les membres de LOTIS les dirigeants européens de géants industriels comme Prudential Corporations, PriceWaterhouseCoopers, et Morgan Stanley. LOTIS est une excroissance des « British Invisbles », plus connu formellement sous le nom de Groupe de Londres des Services financiers internationaux. Ils recevaient souvent la visite d'invités membres de l'équipe de négociations de la Commission européenne.

Les minutes indiquent que les représentants officiels des gouvernements et de l'Union européenne, partageaient avec les dirigeants financiers des documents confidentiels au sujet des négociations en cours et révélaient les positions de l'Union européenne, des américains et des pays en développement. Durant la réunion du 22 février de cette année, le négociateur britannique en chef de l'Accord sur le Commerce des services (AGCS) a fait référence au rapport de la Commission européenne sur les régulations industrielles qui circulait de manière confidentielle entre les membres de LOTIS afin qu'ils puissent le commenter et l'amender.

L'AGCS est un accord qui touche tous les services publics, éducation, santé, énergie, eau, transports, etc. Il entre en concurrence directe avec les législations nationales sur l'environnement, le droit du travail, et les règles de protection des consommateurs en les considérant comme des barrières commerciales contraire à la libéralisation totale de tous les services.

Barry Coates, directeur de l'organisation de surveillance de l'OMC, World Development Movement, a déclaré qu'il était surpris que les membres de LOTIS avaient reçu des documents que le gouvernement britannique avait refusé de donner à son organisation, même des rapports « qui, nous avaient ils répondu, n'existaient pas ».

Coates, aujourd'hui au Qatar pour la conférence ministérielle de l' OMC, s'est même déclaré amusé d'une certaine façon de voir que des compagnies qui représentent plus de 100 milliards de dollars de chiffre d'affaire, semblaient résolus à contrecarrer des arguments et des actions de son organisation, WDM, qui n'a qu'un maigre budget de fonctionnement. Deux des réunions de LOTIS ont focalisé sur le recrutement de consultants et d'universitaires pour fournir aux services des gouvernements, des réponses autour des arguments de WDM qui remettaient en question l'AGCS et l'agenda global de libéralisation. On trouve dans les minutes : « la position pro-AGCS est vulnérable lorsque les ONG demandent des preuves des bénéfices économiques de la libéralisation ».

Le dirigeant de Reuters, Henry Manisty, a offert les services de son agence de presse pour l'effort de communication de LOTIS. Il a déclaré au groupe LOTIS qu'il « se demandait comment faire passer les vues des groupes financiers de manière optimale au grand public ». Reuters, a-t-il déclaré, « leur donnerait bien volontiers de la publicité ».

« Depuis longtemps les théoriciens de la conspiration pensaient qu'il y avait des réunions secrètes entre les gouvernements et le monde de la finance et de l'industrie » déclare Coates, « En regardant ces minutes, la réalité dépasse la fiction. Les propositions de l'OMC sur l'AGCS sont un tissage entre les lobbyistes de l'industrie et les gouvernements ».

Une question de nécessité ?

En dehors d'avoir eu accès en avance à des documents ou à des documents gouvernementaux confidentiels, les minutes révèlent que les dirigeants, comme membres du Forum des Services européens, ont tenu des réunions exclusifs avec le groupe issue de l'article 133, qui met au point les politiques commerciales de la Commission européenne. Les délibérations de ce « groupe 133 » sont normalement confidentielles.

Au moins une rencontre du comité 133, qui s'est tenue le 30 octobre a été confirmé de manière indépendante par l'organisation hollandaise Corporate Europe Observatory.

Les deux autres séries de documents suggèrent que LOTIS et d'autres lobbyistes ont étonnamment remporté un vif succès auprès des gouvernements occidentaux lorsque ceux-ci ont proposé de faire avancé radicalement la portée de l'AGCS. Un mémo confidentiel daté du 19 mars obtenu de l'intérieur du secrétariat de l'OMC, écrit 4 semaines après la réunion de LOTIS sur le même sujet, indique que les négociateurs européens avaient accepté l'amendement en faveur de l'industrie, l' article VI.4 de l'AGCS, connue sous le nom de « Test de nécessité ».

Le test de nécessité demande aux états de prouver que leurs régulations - du contrôle de la pollution au travail des enfants - ne sont pas des barrières cachées au commerce. L'industrie vaut que l'OMC emploi un test de nécessité similaire à celui employé dans l'Accord de libre échange de l'Amérique du Nord (ALENA) qui a servi à renverser toutes les régulations locales. Par exemple, le Mexique a été forcé de payer 17 millions de dollars à Metaclad pour avoir imposé un délai à l 'implantation d'un dépotoir de déchets toxiques sur son territoire. Les représentants locaux mexicains avaient tenté d'empêcher sa mise en oeuvre car il avait été mis en place sans permis, et qu'il n'en aurait pas reçu comme ce dépotoir toxique se trouve au dessus de ressources d 'eau potable.

Selon le mémo secret du 19 mars du groupe de travail sur les régulations nationales, publié aux membres de l'OMC par le secrétariat de l'organisation, les négociateurs européens ont atteint un accord privé en vue de la mise en place à l'intérieur de l'AGCS d'un test de nécessité plus contraignant pour les pays et les gouvernements locaux que celui contenu dans l'ALENA. En effet l'accord entre les Etats Unis, le Canada et le Mexique demande uniquement que les législations soit « moins contraignantes pour le commerce ».

Sous l'AGCS, comme proposé par le mémo, les régulations et législations seront retirées sur elles sont plus « contraignantes que nécessaires » aux entreprises. La différence entre la terminologie ALENA et celle du mémo AGCS est subtile, mais son effet serait énorme. La terminologie du mémo AGCS effectivement retire le commerce de l' équation. Néanmoins un état devrait mettre en vigueur des règles qui sont, d'après le mémo, les plus « efficaces » - c'est à dire qui incluent le moins possible de coût aux entreprises.

L'ALENA dopé aux stéroïdes

Les changements proposés rendraient inutiles toutes régulations par rapport aux velléités des entreprises locales ou étrangères cherchant à entrer sur le marché. Par exemple l'état de Californie a interdit l' additif de carburant MBTE parce qu'il polluait les ressources en eau. Le fabricant canadien a porté plainte contre les USA sous la législation ALENA au prétexte que l'interdiction de l'additif n'était pas la solution la « moins contraignante pour le commerce » pour arrêter la contamination des nappes d'eau souterraine. La Californie pourrait, argumentent les canadiens, choisir de réparer les milliers de citernes des stations essence et établir un système d'inspection des véhicules plus efficaces. Alors que le coût de l'alternative atteindrait des milliards de dollars, elle pourrait très bien forcer la Californie de retirer sa régulation pour protéger ses ressources d' eau et continuer d'importer l'additif.

La Californie combat actuellement l'interprétation canadienne devant un organe de règlement des différend de l'ALENA. Mais d'après la terminologie du mémo AGCS, l'état n'aurait aucune défense possible. Lori Wallach de Global Trade Watch (Washington DC), appellent le changement de terminologie "l'Alena sous stéroïdes ».

La proposition du secrétariat de l'OMC suit les points suggérés par un autre document confidentiel du groupe de travail de l'Union européenne du 24 février, intitulé « Régulations nationales : Nécessité et transparence », publié juste après la rencontre de LOTIS sur la même question à laquelle assistait des négociateurs européens.

Cependant, selon le mémo confidentiel du 19 mars, dans le cours de négociations secrètes multilatérales les ministres du commerce sont tombés d'accord sur le fait que devant un tribunal de l'OMC la défense présentant « la sauvegarde de l'intérêt public. serait rejetée ».

En lieu et place d'une défense de « l'intérêt public », le secrétariat de l'OMC suggère dans son mémo qu'on adopte un « principe d' fficacité ». Ceci a l'avantage, avance le rapport du groupe de travail, de permettre aux Présidents et Premiers ministres hostiles aux protections environnementales de les éliminer - non par les votes des parlements des pays, mais par un édit de l'OMC qu'aucun état ne pourrait retourner. « Ce serait plus politiquement acceptable » trouve-t-on dans le mémo, « pour les pays d'accepter des obligations internationales qui donnent la primauté à l'efficacité économique ».

Si, par exemple, l'administration Bush souhaitait plutôt ne pas réduire le niveau de la contamination par l'arsenic dans l'eau potable due à l'industrie minière, malgré les législations et régulations fédérales, elle pourrait les éliminer en acceptant les ordres de l'OMC au travers d'un jugement de l'organe de règlement des différends qui les trouveraient « plus contraignantes que nécessaires ».

Un porte-parole de l'OMC confirme l'authenticité des notes de réunion du 19 mars. Cependant il précise que le document interne de l'OMC ne peut être interpréter comme si l'OMC avait le « pouvoir de faire tomber les régulations et lois nationales ».

Barry Coates de WDM n'est pas d'accord, « il s'agit une attaque directe contre le processus démocratique. »

 


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