Centre de recherche sur la mondialisation

 

Sous la botte de l'occupation israélienne

 

Soirée d'attente à Dheisheh

par Pierre-Yves Salingue, Camp de Dheisheh, Bethléem

 

solidarite-palestine.org,     le  5 mars 2002
Centre de recherche sur la mondialisation (CRM), globalresearch.ca     le 10 mars 2002

 


Je rentre d'al-Khader où les chars ont pris position au cœur même du village, à proximité de la mosquée.

Je vous adresse ce message depuis le camp de Dheisheh à Bethléem.


L'électricité y est maintenant coupée par décision des autorités, ce qui serait le signe d'une possible attaque de certains bâtiments à l'intérieur ou proches du camp. Bien sûr je prends (et je vous donne) ces informations avec le doute méthodique qu'il convient de conserver, tant la situation se prête à des interprétations diverses et changeantes. Peut-être qu'il ne se passera rien... mais les chars ne sont pas très loin et les F-16 font de fréquents passages: intimidation ou reconnaissances, je ne me hasarde pas à choisir!

Ici, l'ambiance est évidemment «tendue», chacun guette le bruit qui annoncerait l'attaque des F-16. C'est une attente qui comporte aussi une dimension de «délivrance», je ne crois pas exagérer en écrivant que dans leur grande majorité les habitants du camp souhaitent cette attaque, tant le climat général ici est devenu «un climat de guerre ouverte».

Hier soir, des milliers de gens du camp ont assisté depuis les toits aux bombardements de Bethléem, les F-16 tiraient leurs missiles peu avant d'arriver au dessus du camp, et on percevait très bien le moment du tir.

Évidemment, la peur est aussi présente, visible surtout chez les jeunes enfants qui alternent pleurs nerveux et fanfaronnades: on peut préparer des molotov dans la journée et angoisser le soir, quand les avions sans pilotes commencent à tourner au dessus des têtes, précédant l'arrivée des Apaches et des F-16.

Au-delà d'un témoignage rapide sur ces instants d'attente, je veux vous dire combien ici en Palestine la situation a changé rapidement.

Je ne sais pas encore si on doit parler «seulement» d'accélération des événements ou s'il est plus juste de parler d'une nouvelle étape «qualitative» dans l'affrontement.

Ce qui frappe d'abord, c'est la généralisation dans le temps et dans l'espace d'événements qui avant s'égrenaient un peu chaque jour: un attentat ici, un bombardement là-bas, une pénétration rapide en zone A à un autre endroit etc.

Depuis une semaine, l'enchaînement et la simultanéité des actions modifient radicalement la perception que les gens ont de la réalité et de l'avenir.

Quelque chose s'est passé avec l'entrée de l'armée dans les camps, les «ripostes» palestiniennes de samedi et de dimanche semblent avoir libéré une colère et une exaspération trop longtemps contenues: ici plus personne ne s'interroge sur l'opportunité ou la justesse d'actions armées quelles qu'elles soient, «ils tuent et ils attaquent, on va rendre coup pour coup».

Le désespoir est profond, personne ne propose la moindre alternative à ce passage d'une occupation militaire des Territoires permettant l'exercice d'un terrorisme d'État et suscitant des actes de résistance isolés à une guerre ouverte et proclamée (cf. déclarations de Sharon, entre autres): j'hésite à l'écrire, mais les Palestiniens ne se posent plus la question de gagner et de construire des stratégies pour ce faire. Ils n'attendent plus rien, de personne, ils ne se font pas d'illusions sur le rapport des forces, mais contrairement à ce qui me semblait exister il y a encore peu de temps, ce sentiment ne débouche plus ni sur une nouvelle attente ni sur l'expression d'une énième déception: l'heure de l'affrontement ouvert est arrivée et il me semble que plus rien n'arrêtera le cours des événements.

La détermination des jeunes des camps est impressionnante, l'assimilation à ceux qui ont osé et réussi des actions audacieuses et meurtrières est totale: mais cette fois-ci ce n'est pas d'abord par l'édition et l'affichage des photos des «martyrs», c'est par la proclamation massive d'actions similaires et, croyez-moi, ce ne sont pas des fanfaronnades et des propos exaltés d'après les funérailles.

Voilà, je ne sais pas où tout cela va politiquement, mais je sais qu'on va vers une accumulation de tragédies humaines à côté de laquelle la situation d'avant apparaîtra bientôt comme relativement paisible.

Que personne ne se fasse plus d'illusions, la situation n'est pas parvenue à son paroxysme, loin de là.

Selon toute vraisemblance l'armée va multiplier des attaques d'envergure de plus en plus meurtrières; depuis ce matin on sait aussi qu'un «terrorisme privé» (l'attentat dans une école palestinienne de Jérusalem-Est) va se développer côté israélien.

Tous les ingrédients de la tragédie sont désormais réunis.

Les Palestiniens savent qu'ils n'ont plus rien à attendre ni plus rien à perdre. Si, la vie, me direz-vous. Erreur! Sous la botte de l'occupation israélienne et avec la complicité des gouvernements des puissances capables de peser sur le cours des choses, ils ne font plus que survivre depuis des dizaines d'années.

La vie continue, dans les rues du camp on fait les courses et on discute, les enfants jouent, au foot et davantage à la guerre. La vie continue, mais ce soir, elle a, plus que jamais, un goût de guerre et de mort.



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