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Les troupes am�ricaines multiplient arrestations et bavures en Irak :

�Ils nous traitaient comme du b�tail�

par Marc Semo

Lib�ration,  30 jullet 2003
www.globalresearch.ca le 1er  ao�t 2003

Le URL de cet article est: http://globalresearch.ca/articles/SEM308A.html


�Je croyais qu'il allait me frapper, mais il me serra la main en disant qu'il �tait vraiment d�sol� pour ce qui m'�tait arriv�.� Tony, d�tenu Bagdad

Le couvre-feu venait de tomber, � 23 heures, comme depuis trois mois dans la capitale irakienne, et Nudir �tait en retard, mais � peine � quelques centaines de m�tres de sa villa du quartier de Zeyouna, quand une patrouille am�ricaine a bloqu� la BMW o� il se trouvait avec deux amis. Polis, mais fermes, les GI les couchent sur le capot. Ils fouillent le v�hicule. Dans la bo�te � gants, comme beaucoup d'Irakiens, il avait un revolver pour se d�fendre. Aussit�t, les soldats leur lient les mains. �Ils nous ont fait monter dans un transport de troupes blind� et l� ils ont commenc� � nous tabasser�, raconte le jeune ing�nieur, qui, apr�s une nuit dans un centre de regroupement, entass� dans une cage grillag�e avec 350 autres suspects, est finalement arriv� � la prison de l'a�roport, le �Camp Cropper�, des b�ches entour�es de barbel�s et �cras�es de soleil o� il passera seize jours. C'�tait fin mai. Il fut enregistr� comme �enemy prisoner of war� avec le num�ro 8 122.

Matricule 16 481. Tony a, lui, �t� arr�t� dix jours plus tard, le 3 juin � son domicile du quartier d'Al-Mansur. �Des voleurs avaient commenc� � piller la maison d'� c�t�. Avec les voisins, nous avons commenc� � tirer en l'air pour les faire fuir, et les Am�ricains sont arriv�s quelques minutes plus tard. Les voleurs ne les int�ressaient pas. Ils ont demand� qui avait tir� et o� �taient les armes. Je leur ai montr� la kalachnikov que je gardais pour la protection de ma famille. Ils l'ont confisqu�e, puis m'ont li� les mains et m'ont emmen�, raconte le jeune �conomiste chr�tien, qui ne reviendra chez lui que trente-sept jours plus tard, apr�s �tre pass� par les camps de prisonniers install�s au sud du pays, pr�s d'Oum Kasr. Lors de son passage � Camp Cropper, il re�ut le num�ro 16 481.

Faute de statistiques, ces matricules donnent une id�e du nombre de personnes interpell�es � Bagdad dans des rafles ou des contr�les men�s par les troupes am�ricaines. �Il y a �norm�ment de d�tenus qui entrent et sortent, rendant impossible toute comptabilit� pr�cise�, affirme un repr�sentant du CICR, qui, tout en reconnaissant �avoir d�sormais acc�s � tous les lieux de d�tention�, d�nonce �les grands points noirs que sont toujours la lenteur des proc�dures, comme l'absence d'avocats et de juges�.

Les m�saventures de Nudir et de Tony sont deux histoires parmi tant d'autres qui t�moignent de la r�pression au quotidien men�e par les troupes am�ricaines, toujours plus nerveuses. Dans son rapport devant le Conseil de s�curit�, le repr�sentant de l'ONU � Bagdad, Sergio Viera De Mello, a affich� ses pr�occupations sur la situation des droits de l'homme en Irak. Amnesty International, dans un �M�morandum d'inqui�tudes sur la loi et l'ordre�, a d�nonc� �des cas de tortures et de mauvais traitements inflig�s par les forces de la coalition�. Il y a aussi les �bavures�, de plus en plus fr�quentes, lors des op�rations coup de poing, car les GI agissent toujours comme s'ils �taient en situation de guerre. Tirs sur des voitures civiles qui ont la malchance de passer par l� au mauvais moment. Tirs sur les occupants de la maison perquisitionn�e qui esquissent une r�action de d�fense croyant qu'il s'agit de pillards. Juridiquement, le flou le plus complet continue de r�gner.

Conditions inhumaines. A cela s'ajoutent la mauvaise hygi�ne, la chaleur, l'entassement des centres de d�tention improvis�s par les Am�ricains, qui, outre les camps de toile, ont d�sormais remis en fonction l'immense prison d'Abou Ghraib, symbole des trente ans de r�pression du d�funt r�gime. �Il est honteux de voir des personnes d�tenues dans des conditions inhumaines sans que leurs familles soient inform�es, souvent pendant des semaines�, s'indigne Mahmoud ben Romdhane, chef de la d�l�gation d'Amnesty en Irak.

Il n'y a, certes, aucun rapport entre la vie d'un d�tenu aujourd'hui et ce qu'elle �tait � l'�poque de Saddam, mais ceux qui ont �t� incarc�r�s par les Am�ricains en restent profond�ment choqu�s, m�me s'ils reconnaissent en g�n�ral que les GI de garde �ont �t� corrects�. C'est l'absurdit� d'une autorit� d'occupation coup�e des r�alit�s du pays qui est en cause. Le g�n�ral Ricardo Sanchez, commandant des forces de la coalition en Irak, a ainsi expliqu� les difficult�s � publier les listes de prisonniers pour informer les familles �� cause de questions d'orthographe des noms souvent impr�cis�.

A m�me le sol. A son arriv�e au Camp Cropper, pr�s de l'a�roport, Nudir s'est effondr�. �Sous une simple b�che, nous �tions pr�s de 200 et nous n'avions pas le droit de sortir de l'enclos de barbel�s qui entourait chaque tente. Il y en avait une douzaine, et on ne pouvait pas communiquer de l'une � l'autre, sinon de loin, par gestes�, raconte l'ing�nieur. Dans la tente voisine, il a aper�u certains �VIP� � les anciens dignitaires du r�gime de la liste des personnes recherch�es, dont l'ex-pr�sident du Parlement, Saadoun Hammadi �, qui ��taient au m�me r�gime que tout le monde�. �On dormait � m�me le sol, sur du papier journal ou, pour les plus chanceux, des sacs de jute. La nourriture �tait chiche, des rations de l'arm�e une fois par jour et l'eau encore plus compt�e, � peine trois litres par jour malgr� la canicule. Apport�e dans des conteneurs m�talliques, elle �tait toujours chaude. Les latrines �taient juste des trous creus�s � l'int�rieur de l'enclos qui d�gageaient une odeur pestilentielle�, t�moigne Nudir, pour qui le plus dur a �t� de se passer de cigarettes. Fumer �tait, en effet, s�v�rement interdit.

A la moindre incartade, les d�tenus sont punis en restant des heures debout sous le soleil, bras et jambes �cart�s. �Quand le prisonnier s'effondrait, on le ranimait avec un peu d'eau, puis il devait reprendre sa station debout�, pr�cise l'ex-d�tenu, qui a vu aussi certains de ses camarades punis pour des fautes plus graves, jet�s les mains li�es, � plat ventre dans la poussi�re sous le cagnard. �On ne nous battait pas mais on nous traitait comme du b�tail�, s'insurge Tony, qui, au bout de deux jours, fut transf�r� au sud, � Oum Kasr, dans un camp pour prisonniers de guerre �o�, au moins, il y avait du savon pour se laver�.

Indignation. Pendant sa d�tention, Nudir n'a �t� interrog� qu'une seule fois durant cinq minutes. �Je ne savais pas jusqu'� quand je serais l�. Puis un jour on a appel� mon matricule. J'ai appris que j'�tais lib�r�, raconte-t-il. Sa famille n'avait �t� inform�e de sa d�tention qu'au bout de quatorze jours. �Ils croyaient que j'avais �t� tu� par des voleurs et, pendant des jours, avaient sans succ�s fait le tour des commissariats, du Croissant-Rouge, de la Croix-Rouge internationale, des autorit�s am�ricaines�, s'indigne l'ing�nieur.

Quand Tony fut finalement interrog�, apr�s dix jours dans le camp d'Oum Kasr et put raconter son histoire, l'officier se leva d'un coup. �Je croyais qu'il allait me frapper, mais il me serra la main en disant qu'il �tait vraiment d�sol� pour ce qui m'�tait arriv�, t�moigne l'�conomiste, qui dut n�anmoins attendre encore dix-sept jours pour recouvrer la libert�, apr�s deux autres longs interrogatoires d'officiers du renseignement qui lui demandaient s'il faisait partie du Baas, s'il connaissait des gens du Baas, ce qu'il avait fait pendant la guerre du Kowe�t et pourquoi il n'adh�rait pas au Congr�s national irakien d'Ahmed Chalabi, le prot�g� des Am�ricains. Il put prouver sa bonne foi. On l'amena � la porte du camp, en plein d�sert, � 700 km de Bagdad. On lui donna 5 dollars et � lui de se d�brouiller. Il soupire : �J'en veux aux Am�ricains. Comme beaucoup d'autres Irakiens, je les b�nissais pour nous avoir lib�r�s de Saddam Hussein. D�sormais, je n'ai plus d'illusions.�.


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